Le règne de Louis XIV (partie IX) : monarchia absoluta et dynasties ministérielles.
Rappel : Ayant servi Le Tellier puis Mazarin, Fouquet s’était imposé durant les difficiles années 1950 comme un bon surintendant des finances, dénichant des fonds malgré la guerre et la faiblesse de l’Etat. Pourtant, à la mort de Mazarin, celui-ci ambitionna la place de principal ministre et trouva sur son chemin Colbert. Ce dernier accusa Fouquet de malversations financières, usa de diffamation mais rapporta également de véritables éléments, comme le fait que le surintendant se bâtissait une véritable forteresse en Bretagne en cas de disgrâce. Fouquet commit également de graves impairs en tentant de faire de la maitresse du roi une espionne ou encore en révélant qu’il avait pour informateur le confesseur de la reine mère. Persuadé des bons sentiments du roi, il lâcha son immunité de procureur, s’attendant à une promotion. Il fut alors arrêté sur ordre du roi et subit un procès largement inégal. Fait unique dans l’Histoire, Louis XIV usa finalement de son droit de grâce pour empirer la sentence prononcée par le tribunal après de longues années de procès. Fouquet fut emprisonné à vie et décéda en 1680. Si l’affaire Fouquet montra la détermination du roi, elle mit également fin à son état de grâce lorsque le peuple se mit à soutenir l’accusé.
Hormis l’affaire Fouquet, le début du règne de Louis XIV fut un succès. Louis XIV instaura plusieurs conseils, la collégialité raisonnée l’emportant, aux antipodes des usages du sultan ottoman ou de nombreux souverains chrétiens. Le plus important était le droit divin, dont les fondations reposaient sur une citation : « Toute autorité vient de Dieu et celles qui existent ont été établies par Dieu » (Saint Paul, Rom. XIII, 1). Le roi est l’Etat, il doit garantir une économie prospère, une vie tranquille protégée de la guerre, il en va de sa réputation et de sa postérité (donc de celle de l’Etat). Le roi avait cependant peur de la sanction divine, ce qui a pu contenir nombre d’abus dans la monarchie, contrairement au scepticisme des Lumières qui engendra un « despotisme éclairé » qui ne limita pas l’arbitraire mais l’étendit. Louis XIV supprima le ministériat car il estimait le despotisme ministériel plus dangereux que l’absolutisme. Après tout, le roi savait servir le bien commun, là où les intérêts personnels des ministres interféraient. Les 18 ans de ministériat de Richelieu (1624-1642) avaient été marqués par 12 années de guerre ; tandis que les 18 ans de ministériat de Mazarin (1643-1661) avaient été marqués par 16 années de guerre. Ceci expliqua le soulagement général lorsque Louis XIV fêta son second avènement, mais aussi le fait que le peuple ne trouvera jamais Louis XIV trop belliciste, bien que 31 années de guerres occupent ses 54 années de règne personnel (et 46 années de guerres ses 72 années de règne). Louis XIV avait plusieurs autres devoirs, comme lutter contre la misère de son peuple, assurer la gloire de la France mais aussi lui former au mieux son successeur. Il prépara ainsi sa succession en élevant son fils, né en novembre 1661, avec les meilleurs percepteurs, lui donna la meilleure éducation. Il rédigea des mémoires de ses premières années de règne pour former une base d’enseignement. Louis XIV intima à son fils l’orgueil, la gloire, la politique, l’humilité, la modestie devant la puissance divine et l’Eglise mais aussi, précurseur, des notions de souverain éclairé du XVIIIe siècle : le bonheur du peuple et la raison comme paramètre dominant. Frédéric II, grand admirateur de Louis XIV, n’allait rien inventer, seulement s’inspirer. Depuis Charles VII, les rois de France terminaient leur lettres patentes par Placet nobis et volumus (« c’est notre volonté réfléchie ») que l’on traduit aussi par « car tel est notre plaisir », mais on aurait tort de voir, dans cette formule indiquant une décision délibérée et réfléchie, un caprice. Tout comme monarchia absoluta était traduit davantage par « monarchie parfaite ». Absolutus, du verbe absolvere (« délier ») témoignant d’une monarchie sans liens, mais non pas sans limite. Les juristes théoriciens de la souveraineté avaient développé cette théorie de monarchie absolue juste après le chaos des guerres de religion, vers 1609-1610. Le pouvoir royal était absolu mais circonscrit par les maximes fondamentales du royaume. L’Etat passait avant le roi, comme l’indiquait la loi salique, loi de succession unique au monde, garante de l’unité et de la continuité pour le royaume. Une autre rappelait que le souverain n’était qu’usufruitier et non propriétaire de son royaume. La troisième maxime était la loi d’indépendance, ou système des libertés de l’Eglise de France, assurant la permanente sauvegarde des empiétements de Rome.
La monarchie absolue était limitée en théorie par les lois divines (commandements de Dieu) au risque, si le monarque était sacrilège ou idolâtre, d’amener la colère de Dieu sur la France ; par les lois naturelles (la raison, la justice, l’équité), préceptes que les lois qu’il imposait devaient suivre, sinon quoi ses sujets et le Parlement pouvaient lui désobéir sans être lèse-majesté ; le respect des sujets (il ne pouvait refuser ou violer les lois fondamentales du royaume), le Roi pouvant d’ailleurs être condamné par ses tribunaux ; mais aussi en pratique par les parlements et autres cours suprêmes, les états généraux, les corps royaux, provinciaux, coutumiers, municipaux, professionnels… Si Louis XIV en fit taire certains, ce ne fut que difficilement, muselant assez sans faire scandale ; un contrôle rare qui disparut en même temps que le souverain. Le roi, enfin, était limité par les intérêts des uns et des autres : retirer des privilèges à un groupe faisait craindre à un autre de s’en voir priver également. Louis XIV voulait gouverner seul, mais travaillait directement avec ses ministres et surtout Colbert, qui l’influença sur la première partie de son règne. S’il y avait une faute à admettre, Louis XIV ne se dérobait jamais, bien que le peuple juge généralement que la faute n’incombait jamais au roi, expliquant pourquoi les ministres furent parfois détestés. Jean-Baptiste Colbert, conseiller d’Etat, intendant des finances, membre du conseil d’en haut et du conseil royal des finances en 1661, devint également surintendant des bâtiments royaux (1664), fit main basse sur l’économie puis le commerce, devint membre du nouveau conseil du commerce, mais aussi contrôleur général des finances (1665), fut élu à l’Académie française (1667), devint secrétaire d’Etat à la maison du roi (février 1669), vit ses compétences de secrétaire d’Etat s’étendre à la Marine, aux galères, à la Compagnie des Indes et au commerce (1669), puis devint grand maître et surintendant des mines et minières de France (1670). En plus, Colbert recevait des missions touchant aux affaires privées du roi et notamment à ses amours.
Au sommet de l’Etat avec le roi, Colbert disposait d’une famille très nombreuse qu’il avait placée dans d’innombrables postes administratifs importants (généralement intendants de province ou de marine, devenant conseillers d’Etat, intendants de finance ou présidents de parlement). Le lobby Colbert s’appliquait à changer de poste régulièrement, une mobilité qui permettait aux parents (frères, cousins, oncles ou parrains) et alliés de Colbert de placer leur fils après eux. Tous les moyens étaient bons : Colbert racheta par exemple sa charge de secrétaire d’Etat à la maison du roi (1669) à Henri de Guénégaud, qui la vendait pour s’acquitter de 600 000 livres que lui réclamait la chambre de justice… composée d’amis de Colbert. Bien entendu, le ministre permit l’enrichissement de sa famille et plaça ses enfants, dont son fils aîné Jean-Baptiste Colbert, marquis de Seigneley, qui héritera du secrétariat d’Etat à la marine et à la maison du roi. Le pouvoir de Colbert (père) était devenu considérable : il s’occupait des finances, de l’économie, du quart de l’administration générale, d’une bonne partie des affaires de justice, des bâtiments, des manufactures, de la maison du roi, de la cour, de Paris, de la marine, des colonies et de quelques missions spéciales du roi. Colbert s’occupait donc de ce qui formerait une dizaine de ministères de notre gouvernement moderne : finances, économie, budget, industrie, commerce, équipement, intérieur, culture, marine de guerre, marine marchande, colonies.
Un autre homme devint incontournable dans le gouvernement de Sa Majesté. Michel Le Tellier fit de l’administration militaire sa chasse gardée ; il plaça des parents aux postes clefs des six bureaux de guerre et choisit ses commis et commissaires parmi sa clientèle. Le clan Le Tellier influença également la diplomatie. Honoré Courtin, notamment, qui passa par les ambassades d’Angleterre, de Hollande, de Suède avant d’être plénipotentiaire à Bréda puis Cologne, permis aux Le Tellier d’avoir de l’influence jusque dans les colonies, terres colbertistes. Le Tellier n’ayant pu succéder à Mazarin, il reporta son ambition sur son troisième fils : François Michel Le Tellier, sieur de Chaville et marquis de Louvois. Très travailleur, comme Colbert, administrateur hors pair, excellent intendant général des armées, clairvoyant, précis, lucide, brillant préparateur de campagne et mobilisateur d’une armée de siège, pourtant démuni de trait de génie ; Louvois était également cassant avec ses inférieurs, moins diplomate que son père, brutal attaché à la discipline, c’est lui qui poussera Louis XIV à faire le plus de fautes.
En décembre 1655, Michel Le Tellier obtint la survivance de sa charge de secrétaire d’Etat à la guerre pour son fils, âgé de 14 ans ; et plus tard de sa charge de conseiller d’Etat. Associé à l’administration de la guerre dès 1660, François Michel obtint le pouvoir de signer en l’absence de son père le 24 février 1662. À partir de 1665, son père s’effaça progressivement, lui laissant la direction. Inéluctablement, le jeune prodige inquiéta Colbert dans sa position de favoris. Colbert critiqua sa jeunesse et ses dépenses en parades militaires dès 1667. Mais Louvois, allié à Turenne, ne pouvait être inquiété. Pourtant, l’alliance fut de courte durée, Turenne reprochant à Louvois les insuffisances logistiques durant la campagne de 1667. Alors, Louvois se rapprocha du Grand Condé, seul militaire français capable de rivaliser avec Turenne, et abonda en son sens pour qu’il reçoive la direction de la campagne de Franche-Comté en 1668, ce qu’il obtint. Colbert avait raison de redouter Louvois, car ce dernier avait seulement 2 ans et demi de moins que Louis XIV, ce qui renforçait l’impression du roi d’être le maître formant son élève et contrôlant les choses, là où Colbert, de 19 ans l’aîné du roi, ne pouvait que faire figure de mentor.
Louis XIV poursuivit par ailleurs la mise au pas de la société après la mort de Mazarin. En 1665, les parlements durent abandonner le nom de « cours souveraines » pour un plus modeste « cours supérieures » et un lit de justice se tint sans le roi. En 1667, le droit de remontrance fut limité à une brève période. Le 24 février 1673, le Roi Soleil ordonna d’enregistrer les édits avant toute remontrance. La justice du souverain devint prépondérante et la justice seigneuriale déclinante. En province, les prérogatives des gouverneurs devinrent minimes et honorifiques. Ils perdirent le contrôle des fonds qui permettaient de payer les garnisons et la durée de leur commission fut limitée à 3 ans. Les gouverneurs devinrent alors nettement plus dociles et attachés au pouvoir. Tous étaient de toute manière des fidèles du roi. En 1681, François Emmanuel de Bonne, duc de Lesdiguières, dernier grand féodal assez indépendant, décéda. En imposant l’accord du roi sur l’emprunt, la levée de taxes et les nouveaux octrois, puis en subordonnant financièrement les municipalités aux intendants (édit de 1683), Louis XIV finit de verrouiller sa suprématie sur les provinces. À Paris, nous l’avons vu, Gabriel Nicolas de La Reynie, maître des requêtes, devint le premier lieutenant général de police. Il nettoya, éclaira et pava les rues et quais de la capitale durant ses 30 années de service. Un autre excellent administrateur, Marc René de Voyer d’Argenson lui succéda en 1697. Celui-ci accrut la surveillance sur les maisons de jeu, les filles publiques, les religionnaires et les imprimeurs (la liberté d’expression s’exprima alors au-delà des frontières de la France, grâce aux imprimeurs de Liège, Bruxelles ou Amsterdam). Paris devint plus sûr.
Sources (texte) :
Petitfils, Jean-Christian (1995). Louis XIV. Paris : Tempus Perrin, 785p.
Bluche, François (1986). Louis XIV. Paris : Fayard, 1040p.
Sources (images) :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Baptiste_Colbert (Colbert)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Le_Tellier_(homme_d%27%C3%89tat) (Le Tellier)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Michel_Le_Tellier_de_Louvois (Louvois)