La guerre de Sept Ans (partie II) : le temps français (1756-1757)

La guerre de Sept Ans (partie II) : le temps français (1756-1757)

Ile de Minorque dans les Baléares

Si la guerre est déclarée en Europe le 17 mai 1756 par la Grande-Bretagne sur la France, le 9 juin par la France sur la Grande-Bretagne, les hostilités entre les deux puissances se cantonnent presque exclusivement au Nouveau-Monde de prime abord. La seule action militaire en Europe est celle de la France sur Minorque, dans les Baléares. Après une vaste campagne de désinformation sur un imminent et puissant débarquement en Grande-Bretagne, une expédition de 14 000 hommes, dirigée par le maréchal-duc de Richelieu (petit-fils du cardinal) est lancée sur Minorque. L‘île est stratégique et Britannique depuis 1708, acquise durant la guerre de Succession d’Espagne. Malgré un redressement spectaculaire de la Royale (flotte française) opéré par le ministre Rouillé dans les années 1740, la flotte de Louis XV ne peut encore rivaliser avec la Royale Navy Britannique, ce qui complique non seulement tout débarquement en Grande-Bretagne mais, plus grave encore, également la domination des mers dans un conflit qui s’annonce colonial et maritime.

Louis-François-Armand de Vignerot du Plessis, maréchal-duc de Richelieu

La flotte britannique stationnant dans la Manche, l’invasion de Minorque peut débuter. Le maréchal-duc de Richelieu mène les hommes tandis que le marquis de La Galissonnière protégera l’opération avec la flotte. Le siège est posé sur Saint-Philippe, fort difficilement prenable de Minorque surplombant Mohan, à la mi-avril 1756. La place forte est défendue par le major général William Blackeney qui, du haut de ses 84 ans, est un commandant très compétent. Du reste, Londres a enfin compris son erreur : une flotte est envoyée, commandée par l’amiral John Byng. Celui-ci, confiant, engage le combat le 20 mai contre la Royale dirigée par La Galissonnière. La victoire française oblige Byng à battre en retraite sur Gibraltar. Son retour ne saurait cependant tarder et Richelieu en est conscient. Ce dernier décide alors d’enlever le fort Saint-Philippe par un assaut. Le 27 juin, Saint-Philippe est pris au prix de lourdes pertes françaises (200 tués, 500 blessés pour 20 morts et 30 blessés anglais). Richelieu laisse sortir les Britanniques de Blackeney en armes pour rendre hommage à leur bravoure.

Louis-Joseph de Montcalm-Gozon, marquis de Saint-Véran

En Amérique, les Français prennent largement l’avantage. Depuis 1755, les Amérindiens terrifient les Anglais dans une guérilla dure et sanguinaire. En 1756, Vaudreuil, nouveau gouverneur de la Nouvelle-France, a préparé les plans d’une expédition. Le général Louis Joseph, marquis de Montcalm de Saint-Véran, dirigera la campagne de l’été 1756. Malheureusement, le général fraîchement venu d’Europe ne va pas s’entendre avec Vaudreuil. Les conséquences de cette confrontation se feront sentir plus tard. Montcalm, de caractère emporté (je ne pouvais résister, c’est néanmoins vrai), est toutefois un bon commandant. Initialement opposé à la campagne ciblant Oswego car estimant la bonne période bientôt terminée, Montcalm se voit forcer la main par Vaudreuil. Après une efficace désinformation destinée à dégarnir les effectifs britanniques dans la zone, la campagne est lancée. Le 11 août 1756, les Français arrivent devant le premier fort : celui d’Ontario. Après deux jours seulement de siège et du fait des tirs nourris français, les Britanniques abandonnent le fort pour investir les forts George et Oswego. Le 14, les Français bombardent le fort George. Le colonel en charge de la place est balayé par un boulet. Le fort capitule le jour même. La campagne est une réussite au-delà de toutes espérances. La prise de la place forte d’Oswego est aussi due à la peur que nourrissent les Redcoats (soldats Anglais) pour les cruels Amérindiens.

Le choc culturel jouera un rôle majeur en 1757 et il s’opère déjà pour les Français comme pour les Britanniques. Les Français venus d’Europe, en premier lieu, sont horrifiés par les manières barbares des « Sauvages » pour qui les trophées (c’est-à-dire la chevelure des ennemis) et l’alcool sont les deux motivations. La seconde intensifie d’ailleurs la cruauté des Amérindiens qui se matérialise par la première motivation. L’année 1757 sera encore française. Plus que jamais, les sujets de Louis XV gagnent du terrain. Il faut dire que leur réputation est au zénith auprès des Amérindiens. La campagne de 1757 voit l’opposition Vaudreuil-Montcalm s’aggraver. Le second part tout de même en campagne selon les plans du premier, à nouveau.

Pierre de Rigaud de Vaudreuil de Cavagnial

L’armée de Montcalm, forte de 8 000 hommes, est impressionnante par son nombre et sa diversité. 1 800 Amérindiens accompagnent l’expédition du « petit père » (père parce qu’il est français, petit parce qu’il est petit, logique). Le premier fort ciblé est celui de William Henry. Le siège commence le 3 août 1757. Le 9, la capitulation est signée car aucun renfort n’est en chemin. Montcalm, comme Richelieu en 1756, laisse les Anglais sortir en armes et leur promet la liberté s’ils promettent de ne plus s’opposer aux Français pendant 18 mois. Les Amérindiens, non consultés, ne sont pas de cet avis. Ils veulent des chevelures (étrange comme phrase). Dès le 9 août, le massacre commence. Certains Français essaient de défendre les Britanniques (cocasse). Le 10, le massacre se poursuit. De ce fait, Montcalm, qui devait pousser vers le fort Edward, dernier verrou avant New York, refuse d’aller plus loin. Cette décision, motivée par son inimitié pour Vaudreuil et les exactions amérindiennes, sera lourde de conséquences.

L’année 1757 voit la domination française se confirmer. Pourtant, il ne faudrait pas dépeindre un tableau si parfait. Les récoltes de 1756 sont très mauvaises, celles de 1757 ne peuvent rattraper ce manque : le Canada est au bord de la famine. De plus, une armada britannique, 11 000 hommes à son bord, aurait pris Louisbourg et l’Ile Royale si le brouillard ne l’en avait empêché à la mi-juin 1757. Pourtant, la victoire est indéniablement du côté français en 1756 et 1757. La Grande-Bretagne est dans une bien mauvaise posture et l’agitation interne qui la secoue depuis 1756 n’arrange pas les choses. La guerre aurait pu tourner court si la Prusse n’avait pas été alliée à la perfide Albion. Dès 1756 mais surtout en 1757, la Prusse connait des coups d’éclat.

En France, après la prise de Minorque, l’heure est à la joie. Pourtant, simultanément, une crise parlementaire, d’abord religieuse, puis politique et constitutionnelle, bat toujours son plein avec un procès contre la monarchie. Celui-ci oppose Louis XV à ses cours souveraines. Sous la monarchie absolue installée par Louis XIV, les parlementaires n’ont qu’une utilité négligeable, ils peuvent proposer des textes au roi et ils doivent accepter ce que le roi impose (notamment par les lits de justice) : ce sont les droits de remontrance et d’enregistrement. Sous Louis XV pourtant, les parlementaires, forts de leur prétendue représentation du peuple faute de convocation des Etats Généraux depuis 1614, questionnent les fondements institutionnels. Louis XV mène un bras de fer contre les parlementaires depuis 1752. Les remontrances (propositions des parlementaires), normalement uniquement destinées au roi, sont transmises au public. Dans ce contexte, la tâche de voter un nouvel impôt, délicate en temps normal, devient bien compliquée. L’occasion se présente dès juillet 1756. Les mesures fiscales destinées à sauver l’Amérique française deviennent une arme contre le despotisme ministériel dénoncé par les parlementaires, eux-mêmes soutenus par le peuple. Une opposition inédite à une première mesure fiscale de guerre.

William Pitt l’ancien

En Grande-Bretagne, la crise est bien plus grave. La perte de Minorque exacerbe la protestation. Newcastle, le Premier Ministre, a beau présenter l’amiral Byng en bouc-émissaire, le gouvernement est tout de même vitupéré par le peuple. Ce gouvernement démissionne en octobre 1756. C’est aux Patriotes, William Pitt en tête, grand orateur et meneur de l’opposition, que revient la lourde tâche de redresser la situation catastrophique. Pitt ne semble pas inquiet : « Je suis convaincu que je peux sauver le pays. Nul autre que moi n’en est capable » déclare-t-il après quelques mois. Pourtant, une variable est ici importante à prendre en compte : George II. Le roi déteste Pitt qui l’a insulté publiquement il y a une dizaine d’années. Le vieux roi (73 ans), est rancunier. Pendant 10 ans, il s’est opposé à toute promotion de Pitt. Par la force des choses, Pitt est désormais à la tête du gouvernement, ça ne va pas durer. Du reste, Pitt est anti allemand, comme nombre des Patriotes dont l’une des réclamations est de ne plus protéger le Hanovre mais mettre tous les efforts dans les colonies d’Amérique et la guerre maritime. Laisser un germanophobe à la tête du gouvernement alors que seules les victoires de Frédéric II de Prusse empêchent encore la Grande-Bretagne de sombrer ? Certainement pas ! George II ne peut l’accepter.

Thomas Pelham-Holles, duc de Newcastle

Pitt, pourtant, réalise l’importance du Hanovre. Laisser ces terres allemandes sans défenses est offrir des victoires faciles aux Français et leur donner l’Electorat, argument de poids dans d’éventuelles négociations de fin de guerre. Il fait donc voter 200 000 livres pour l’entretien d’une armée au Hanovre, ce qui va à l’encontre de son programme. En revanche, il constitue les milices, cœur de son programme politique. En décembre 1756, l’amiral Byng vient de nouveau exciter le peuple anglais par son arrivée en Grande-Bretagne pour être jugé. Henry Fox et Newcastle, qui étaient les deux hommes forts du gouvernement, reviennent sur le devant de la scène pour s’assurer que le bouc-émissaire ne s’en tirera pas. Byng est condamné à la peine capitale. Pourtant les juges implorent le pardon royal pour cet homme. Les juges, les mains liées par la pression populaire, savent pertinemment que l’amiral ne mérite pas la mort. C’est bien plus Newcastle, qui a attendu une éternité avant de réagir et a envoyé un amiral non expérimenté avec seulement 10 vaisseaux, qui est responsable. Ce dernier sait qu’il est coupable, son zèle pour voir l’amiral mourir à sa place s’en trouve décuplé. George II, de son côté, n’en a cure. Il ne gracie pas l’amiral Byng qui meurt le 14 mars 1757.

George II, démet les Patriotes, Pitt en première ligne, de leurs fonctions ministérielles le 6 avril 1757. Pourtant, après 3 mois de vacances ministérielles (alors même que la guerre est en cours), George II est contraint de reprendre Pitt dans son gouvernement. Cette fois, par contre, le gouvernement est constitué des Patriotes et des Whigs oligarchiques (que George apprécie). Pitt et Newcastle gouvernent ensemble.

Elisabeth Ière, impératrice (tsarine) de Russie (1741-1762)

En Europe, l’Autriche et la Russie se rapprochent pour faire la guerre contre la Prusse en 1756. On l’a vu, le traité de 1755 entre la Grande-Bretagne et la Russie tsariste avait comme objectif une offensive contre la Prusse pour protéger le Hanovre britannique. Le traité de Westminster entre la Grande-Bretagne et la Prusse en 1756, accélère le traité de Versailles, mais pas seulement. Elisabeth, tsarine russe, a de quoi être furieuse. La Grande-Bretagne s’est jouée d’elle : faire peur à la Prusse pour l’attirer dans son camp, tel semble avoir été le jeu de George II. Se rapprocher de l’Autriche des Habsbourg, résolument antiprussienne, tient alors de l’évidence. Elisabeth promet d’envoyer 80 000 hommes en cas de guerre contre Frédéric II. Saint-Pétersbourg fait d’ailleurs pression sur Vienne pour engager les hostilités. Kaunitz joue la prudence, le ministre autrichien sait, comme l’impératrice Marie-Thérèse, que l’Autriche n’est pas encore prête pour la guerre. La Russie veut forcer le destin et fait ébruiter la rumeur que 30 000 hommes renforceront les forces Saxes. Or le roi de Prusse a avant tout des vues sur la Saxe. Frédéric II commet une erreur : celle de la précipitation. Il croit à ces rumeurs et monte un plan de campagne contre la Saxe et la Moravie.

Le 29 août 1756, la maison Hohenzollern passe à l’action : Frédéric II franchit la frontière saxo-prussienne avec 70 000 hommes sans déclaration de guerre. Frédéric II commence sa campagne tard à dessein : il sait la mobilisation russe lente et veut interdire à ses ennemis toute perspective d’une campagne répondant à la sienne, l’hiver servira de dissuasion. Les objectifs sont Dresde et Leipzig. La plus grosse part de l’armée prussienne atteint rapidement Dresde, qui n’est pas défendue, le 9 septembre 1756. L’armée saxonne, surprise par l’attaque, se replie sur Pirna.

Depuis bien longtemps déjà, Frédéric II a des vues sur la Saxe. A en lire son testament politique de 1752, sa campagne de 1756 n’est pas une surprise. Le Hohenzollern veut prendre la Saxe, la Bohême et la Moravie dans des campagnes rapides. Il rendrait ensuite la Moravie à l’Autriche et la Bohême à la Pologne contre la Saxe. Cette dernière est son seul objectif car son acquisition reculerait la frontière et sécuriserait ainsi Berlin. S’appuyant sur ses victoires rapides pour la Silésie durant la guerre de Succession d’Autriche, Frédéric sous-estime gravement l’Autriche qui a appris sa leçon et a profondément réformé son armée. Le Hohenzollern prévoit à tort une campagne rapide. Et pour cause, la Prusse, bien que très militarisée, ne peut pas supporter une guerre qui s’éterniserait.

Comme disait Mirabeau « la Prusse n’est pas un état qui possède une armée, mais une armée qui occupe un état. » On n’est pas si loin de la réalité, 1 habitant sur 27 est un soldat en Prusse en 1740. En 1760, c’est 1 habitant sur 14 ! La Prusse est proche du record détenu par les Suédois. En comparaison, ce ratio est de 1 pour 85 en France. Frédéric peut compter sur un vivier de 150 000 soldats ! L’invasion de 1756 compte pourtant, pour moitié des effectifs, des mercenaires. Frédéric veut surexploiter la Saxe. Dès Dresde occupée, la Saxe verra 5 des 6 millions annuels de Thalers destinés aux guerres du Hohenzollern. Avec les autres impôts, au total, c’est 50 millions de Thalers qui seront pris, soit 1/3 des dépenses prussiennes de la guerre de Sept Ans. Le 13 septembre, Frédéric II dirige ses efforts vers la Bohême sans plus attendre. Les Autrichiens vont s’empresser de lui barrer la route. Ainsi s’engage réellement la guerre continentale.

Source (texte) :

Dziembowski, Edomond (2018). La guerre de Sept Ans. Paris : Perrin, 864p.

Sources (images) :

https://lbmrk.wordpress.com/2011/08/17/menorca-comme-un-air-de-vacances/ (Minorque)

http://www.parismarais.com/fr/arts-et-culture/personnalites-du-marais/le-duc-de-richelieu.html (maréchal-duc de Richelieu)

https://gw.geneanet.org/samlap?lang=en&n=de+montcalm+gozon&oc=0&p=louis+joseph (Montcalm)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_de_Rigaud_de_Vaudreuil#/media/Fichier:Marquis_de_Vaudreuil.jpg (Vaudreuil)

https://fr.wikipedia.org/wiki/William_Pitt_l%27Ancien#/media/Fichier:Elderpitt.jpg (Pitt)

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:1stDukeOfNewcastleOld.jpg?uselang=fr (Newcastle)

https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lisabeth_Ire_(imp%C3%A9ratrice_de_Russie)#/media/Fichier:Carle_Vanloo,_Portrait_de_l%E2%80%99imp%C3%A9ratrice_%C3%89lisabeth_Petrovna_(1760).jpg (Elisabeth 1ère)

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