Alexandre le Grand (partie III) : l’Asie Mineure et la bataille du Granique (334-333 av. J.C)
Rappel : Philippe II de Macédoine était parvenu, notamment par sa victoire à la bataille de Chéronée en 338, à vaincre la Grèce pour lui imposer sa tutelle, par l’intermédiaire de la ligue de Corinthe. Seulement voilà, lui qui voulait affronter l’Empire perse achéménide fut assassiné en 336. Son fils, Alexandre III, prit alors la couronne du royaume de Macédoine. Il passa deux années à de nouveau assujettir la Grèce (excepté Sparte). Une fois cette domination rétablie, il se réappropria les projets de son paternel. En 334, il était enfin prêt.
Alexandre distribua toutes ses richesses, car il ne comptait pas revenir, et partit sans laisser d’héritier, au grand dam de sa mère. Son trésor était vide, il avait de l’argent pour moins d’un mois de campagne, de la nourriture pour juste un mois. Son objectif était avant tout de libérer l’Asie Mineure et d’en faire une seconde Grèce, d’écarter la menace perse et de faire de la mer Egée la mer des Grecs. Ses ambitions allaient jusqu’à la Syrie, voire l’Egypte car il se pensait fils de Zeus-Ammon (Ammon étant une divinité de premier plan des Egyptiens). Ainsi, l’invasion de l’Egypte qui fut regardée par beaucoup comme un détour, était peut-être son objectif initial. Il n’avait pas pour volonté de détruire l’Empire perse, seulement de le rejeter à l’Est, loin de la Méditerranée. Alexandre comptait s’appuyer sur l’Asie Mineure, assez hellénisée et prête à se soulever, puis sur les Juifs de Palestine, également favorables au départ des Perses et enfin sur l’Egypte très hellénisée, récemment reprise par l’Empire perse après une rébellion les ayant débarrassés de la tutelle perse de 404/402 à 343 et prête au soulèvement. Il partait avec 30 000 fantassins et 5 000 cavaliers. Alexandre laissait par ailleurs la régence de la Macédoine au brillant Antipater avec 12 000 hommes et 1 500 cavaliers, une force bien insuffisante. Il est à noter que l’armée d’Alexandre était largement macédonienne, mise à part la cavalerie pour partie thessalienne et quelques centaines de fantassins de différentes cités grecques.
Alexandre partit de Macédoine en avril 334 pour ne plus revenir. A 21 ans et 9 mois, il s’apprêtait à envahir le plus grand empire que le monde avait alors connu. Empire dont Darius III était le Roi des rois depuis qu’il avait usurpé le pouvoir en 336. Alexandre, très pieux, débarqua sur le lieu mythique de la guerre de Troie et honora tous les héros grecs de la légende dont Priam, Ajax, Patrocle mais surtout Achille dont il prétendait prendre l’héritage. Une armée perse se trouvait non loin de lui. Darius, qui ne prenait pas au sérieux le roi macédonien, le méprisa au travers de différentes lettres hautaines et ordonna depuis Suse à son armée de l’écraser et de l’envoyer auprès de lui en tant que prisonnier. Alexandre, impatient d’en découdre, se porta devant l’armée perse qui campait non loin du court d’eau nommée Granique. L’armée perse, selon les sources, aurait été trois fois plus grande que celle d’Alexandre, donc d’environ 100 000 hommes, quand d’autres portent ses effectifs à 20 000 fantassins et un peu moins de 20 000 cavaliers (dont nombre de mercenaires grecs malgré la convention de Corinthe interdisant à tout grec de prendre les armes contre le roi de Macédoine) ; soit 40 000 hommes face aux 35 000, dont 5 000 cavaliers, d’Alexandre. Cette armée perse était en partie commandée par le mercenaire grec Memnos.
Sitôt arrivé devant l’armée perse, le roi de Macédoine ordonna d’attaquer, malgré la marche épuisante juste exécutée. Pour cela, en plus de la fatigue, les Macédoniens devaient franchir le Granique, peu profond mais formant tout de même un obstacle. L’ordre d’attaquer incessamment tint aussi au soleil qui, couchant, aveuglait les Perses alors qu’attendre l’aube aurait inversé la donne. Alexandre décida de d’abord lancer sa cavalerie, les Compagnons, qu’il dirigeait personnellement. Les Perses alignèrent leur puissante cavalerie en première ligne également pour répondre au mouvement macédonien. Alexandre chargea en deux colonnes et engagea la bataille sans stratégie particulière. Surexcité, le roi fut blessé à plusieurs reprises mais tua plusieurs adversaires dont le beau-fils de Darius III, Mithridate ; le frère de ce dernier (Rhoisakès) et manqua de tuer Spithridate, gouverneur général de Lydie et d’Ionie. Parménion, général macédonien, profita du combat de cavalerie pour faire avancer ses fantassins contre ceux de l’adversaire. Devant le roi macédonien en furie, les cavaliers perses s’enfuirent finalement. Seuls les fantassins mercenaires grecs luttèrent jusqu’au bout : ils savaient qu’Alexandre serait, pour eux, sans pitié. Et effectivement il les massacra presque tous et réduisit les survivants en esclavage, excepté les Thébains car Alexandre pensait avoir fâché Dionysos, leur dieu protecteur, en rasant leur ville. Parmi les prisonniers se trouvaient des Athéniens qui subirent également l’esclavage. Athènes essaya à de maintes reprises de faire libérer ces hommes et obtint finalement gain de cause, longtemps après la bataille.
L’armée de Darius défaite, Alexandre entra en héros dans toutes les villes ioniennes, donc grecques, du littoral, en particulier Éphèse et Sardes. Toutes sauf la cité portuaire de Milet qui lui ferma les portes. Ils appréciaient la tutelle perse. Et ce, même si Alexandre se montrait généreux, comme à Ephèse où il ordonna la reconstruction du temple d’Artémis, qui avait d’ailleurs brûlé l’année de la naissance du conquérant macédonien. Cette reconstruction fut financée par le tribut normalement réservé aux Perses et le supplément d’argent fut versé aux religieux de la ville. Alexandre aurait pu se servir, il fit le contraire.
Milet proposa sa neutralité. Vu la flotte de 400 vaisseaux Perses qui rodait dans le coin et pouvait fondre sur la flotte d’une centaine de navires d’Alexandre, cette proposition était inacceptable, c’eut été fragiliser ses arrières. Alexandre assiégea et captura la ville, non sans pertes, en massacrant ses habitants. La résistance de Milet lui indiqua au moins que son idée d’unir tous les Hellènes était illusoire. Il rencontrerait toujours des Grecs réfractaires. Pour cette raison, il proposa à des mercenaires Grecs de rejoindre ses rangs, eux qui s’apprêtaient à combattre jusqu’à la mort, car connaissant leur sort s’ils étaient vaincus. Ils en furent agréablement surpris et acceptèrent. Par ailleurs, face à une si puissante flotte perse et faisant davantage confiance à sa force terrestre, Alexandre désarma sa flotte. Ce n’était pas idiot : entretenir une flotte coûtait extrêmement cher. La flotte perse requérait 80 000 hommes, parmi lesquels relativement peu de guerriers, pour le fonctionnement de ses 400 bâtiments (des trirèmes majoritairement). Alexandre préféra s’emparer des littoraux pour que dépérisse en mer la flotte perse en la privant de combats et de ports.
Alexandre se dirigea vers la Carie, dont il avait failli devenir héritier par mariage quelques années plus tôt et mit le siège sur la magnifique cité d’Halicarnasse, défendue par Memnos. Après plusieurs sorties réussies des assiégés et plusieurs vains assauts des assiégeants, les assiégés se retranchèrent dans une forteresse imprenable et Alexandre abandonna le siège. Il laissa 3 000 hommes pour empêcher l’évacuation de la forteresse. Depuis Sardes, au sud-ouest de l’Asie Mineure, Alexandre envoya Parménion et la moitié de son armée vers le centre des terres, donc vers la Phrygie et en Galatie. Le roi se porta lui sur le littoral sud dans le but d’affamer la flotte perse en la privant de points de mouillage. La majorité des villes l’accueillirent mais certaines durent être prises d’assaut. Les Macédoniens luttèrent dans de nombreux affrontements. Alexandre fonçait toujours tête baissée dans le tas et faisait preuve, au péril de sa vie, de beaucoup de talent au combat. Il n’y montrait cependant aucun talent de stratège mais acquit une réputation d’invincibilité.
Un premier complot contre Alexandre fut découvert. L’assassin, motivé par les Perses, devait être un commandant de cavalerie de l’armée macédonienne : un autre Alexandre qui avait perdu de la famille en marge de l’assassinat de Philippe. Le roi de Macédoine le fit prisonnier et attendit 4 ans pour finalement le condamner à mort dans l’Afghanistan actuel. Mais pour l’heure, Alexandre (le roi) remontait au cœur de la Phrygie vers la capitale du territoire : Gordium. Il y retrouva la moitié de l’armée, confiée à Parménion, en pleine forme. Par ailleurs, il reçut là 3 000 ou 4 000 recrues provenant de Macédoine.
A Gordium, Alexandre affronta la prophétie du nœud gordien. Celle-ci disait que quiconque parviendrait à défaire le nœud gordien (celui du chariot de Gordius, un paysan révolté devenu roi de Phrygie) serait maître de l’Asie. Alexandre trancha le nœud de son épée. Il n’était pas spécifié comment le nœud devait être défait. Une autre version de l’histoire dit qu’il s’attela réellement à la tâche et le dénoua en profitant de la faiblesse du vieux chariot. La nuit, un orage éclata, signe selon Alexandre, de l’approbation de Zeus. Pendant ce temps, le talentueux général grec mercenaire Memnos menait, pour le compte de l’Empire perse, un siège en Asie Mineure. Il y mourut de maladie et passa le flambeau à un incompétent perse. En parallèle, une escadre perse fut vaincue par Antipater et sa flotte macédonienne au large de la Thrace. C’est que les Perses et les Lacédémoniens (Spartiates) s’étaient entendus pour attaquer la Macédoine sur les flots. Ce n’était pas encore à une réelle menace. Alexandre songea alors à reformer sa flotte. Celle qu’il avait désarmée il y a peu : le jeune roi, 22 ans, apprenait son métier.
Alexandre se dirigea vers Tarse pendant l’été 333. La cité, de population grecque ionienne, allait subir un pillage des Perses. Alexandre se hâta, passa un col qui aurait facilement pu être défendu par les Perses mais ne le fut en rien, puis intervint au bon moment à Tarse. Le roi de Macédoine tomba cependant gravement malade. Seul Philippe, son médecin depuis l’enfance, croyait en sa survie. Il demanda à Alexandre son autorisation pour lui administrer un puissant purgatif. Le roi accepta. Alors que Philippe préparait la boisson, on apporta une lettre du général Parménion au roi. Il y disait avoir des raisons de penser que Philippe était peut-être corrompu, qu’il aurait été chargé par les Perses d’empoisonner Alexandre contre une forte somme. Philippe revint au chevet du roi et lui tendit la coupe. Alexandre la saisit, donna la lettre qu’il venait de recevoir à Philippe et bu d’une traite la boisson en le regardant avec un sourire. Il fut malade tout l’été mais commença à se rétablir en octobre.
Alexandre apprit au même moment la chute de la citadelle qu’il assiégeait, on s’en souvient, depuis longtemps : ses hommes avaient fait 700 morts et 1 500 prisonniers. Le roi macédonien s’enfonça alors en Cilicie et apprit que Darius était non loin avec une grande armée. Malgré la réputation qu’il a aujourd’hui, il ne faut pas oublier que Darius était surnommé « Plus Brave des Perses » peu avant sa prise du pouvoir car il avait lui-même combattu et vaincu le champion d’une tribu séditieuse. Darius était le petit-fils du frère du Grand Roi Ataxerxès II. En 336, il avait pris le pouvoir après l’assassinat de son cousin Arsès, fils d’Ataxerxès III. Et sur ces quelques années du début de son règne, on peut dire qu’il gérait très bien son empire.
La force de l’armée perse, estimée entre 300 000 et 600 000 hommes par les auteurs antiques et moins de 300 000 par les études modernes, allait affronter les moins de 30 000 hommes d’Alexandre ! Les Perses étaient, d’après les renseignements d’Alexandre, à Soches, une grande plaine non loin de la présente frontière turco-syrienne. Alexandre passa par la plaine d’Issos, laissa quelques hommes malades et continua vers Soches. Ses renseignements s’étaient lourdement trompés. Soit par hasard soit par talent stratégique, Darius était sur les arrières des Macédoniens, à Issos et avait massacré les malades macédoniens. Certains prétendent qu’ils se seraient simplement manqués. Il est plus probable que le Grand Roi ait fait cette manœuvre intentionnellement. C’est que, se positionnant ainsi sur les arrières d’Alexandre, il coupait ses lignes de communication. Le Grand Roi avait par ailleurs laissé des hommes en Syrie. Alexandre devait choisir entre difficilement avancer avec un danger sur ses arrières ou revenir sur ses pas pour affronter une armée bien supérieure en nombre.
Sources (texte) :
Weigall, Arthur (2019). Alexandre le Grand. Paris : Éditions Payot & Rivages, 512p.
Benoist-Méchin, Jacques (2009). Alexandre le Grand. Millau : Tempus Perrin, 352p.
Sources (images) :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Carte_Grece_antique_02.jpg (carte de Grèce au Ve)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Brue,_A.H.;_Levasseur,_E._1875._Asie_Mineure,_Armenie,_Syrie,_Mesopotamie_(C).jpg (Asie Mineure)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_le_Grand (parcours d’Alexandre jusqu’à Halicarnasse puis Issos)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_du_Granique#/media/Fichier:Jean_Audran_-_La_bataille_du_Granique.jpg (Représentation bataille du Granique)
https://fr.wikipedia.org/wiki/N%C5%93ud_gordien (représentation d’Alexandre tranchant le nœud Gordien)