Alexandre le Grand (partie VIII) : la fin de l’empire (324-309 av. J.C)

Alexandre le Grand (partie VIII) : la fin de l’empire (324-309 av. J.C)

Rappel : de retour d’Inde, Alexandre retrouva son empire en lambeaux. L’absence prolongée du conquérant y avait semé la corruption et excité les ambitions. En 324 av. J.C, Alexandre s’attela à la tâche de restaurer son autorité sur ses terres. Mais là n’était pas son plus grand projet. Celui qui, désormais, se disait un dieu, voulait opérer une fusion des cultures occidentale et orientale. Pour cela, il organisa les noces de Suse, 10 000 mariages entre ses guerriers et des femmes perses. Après quoi, il voulut intégrer à son armée occidentale des éléments orientaux. Le refus de son armée fut catégorique et violent. Alexandre répliqua avec brutalité et obtint satisfaction. Il fallait désormais aller plus loin dans le métissage des peuples.

Alexandre tenta, après la fusion de la culture, du sang (noces de Suse) et des armées (Opis), celle des croyances et religions. Attendu que la majorité des multiples croyances orientales rencontrées par Alexandre cherchaient à Attester l’Unique, le nouveau Roi des rois chercha à toutes les confondre en une. Mais même Alexandre ne put parachever un tel projet. Il était, de fait, tout à fait impossible. Toute la logique grecque que pouvait avancer Alexandre ne pouvait ébranler ce qui est, par essence, dénué de raison. Il voulait se faire « dieu universel » en accumulant toutes les caractéristiques des différents dieux mais il lui manquait la Révélation. Il existait, pour cela, bien trop de croyances (les cultes de Déméter, Cybèle, Athys et Mithra en Asie Mineure, de Baal et Astarté en Phénicie, de Jéhovah en Judée, de Dusarès et Allat des Nabatéens ; les panthéons égyptien et assyrien, des cosmogonies, surtout avec le zoroastrisme (des Perses et des Mèdes) ; enfin des croyances indiennes de Brahma, Indra ou Siva). Ajoutons que les croyances occidentales et orientales étaient antagonistes : tandis que les Grecs essayaient de se détacher des divinités (qui ne sont en rien des exemples mais bien plus des menaces) par la vertu, la sagesse, la logique ; les Orientaux vivaient dans et pour la religion. Ces deux visions étaient inassociables et avaient permis différentes avancées.

Les Grecs exploraient le monde des Idées et des Nombres (géométrie, mécanique, physique, astronomie). C’est de cette tendance que vinrent les béliers et les catapultes qui surpassèrent les défenses des villes perses. De cette tendance également la volonté d’égaler les dieux une fois qu’aucune autre civilisation ne serait en mesure d’opposer une résistance concrète aux Hellènes. Ils cherchaient notamment à conquérir leur liberté en élargissant toujours plus la justice. De sorte qu’ils échappaient désormais au cercle vicieux des vengeances par une décision des masses. C’est d’ailleurs ce principe d’une loi étendue à tous (énoncé par Empédocle au Ve siècle*) que cherchait à instaurer Alexandre. Les Grecs étaient tant en quête de réponses pour expliquer ce qui les entouraient qu’ils développèrent la science parfois avec une exactitude impressionnante, imaginant par exemple un univers matérialiste, fait d’atomes. Ils imaginaient ces atomes tourbillonnants partout, formant une masse finie de matière. De manière générale, ils préféraient le mesurable et le fini à l’incommensurable et à l’infini. Alors que les Grecs essayaient de comprendre le monde en faisant avancer les sciences (le terme de philosophie englobait toutes les sciences), faisant reculer d’autant l’emprise des dieux sur leur vie, les Orientaux étudiaient bien plus le ciel. En prenant l’exemple du zoroastrisme, croyance prépondérante tenant de la cosmogonie, on comprend mieux les différences.

*Sauf indication contraire, toutes les dates de cet article sont sous-entendues avant Jésus Christ.

Les sujets du Roi des rois pensaient que tout, sur terre, était un duplicata d’un monde céleste. Pour être plus exact, revenons aux fondements. Le zoroastrisme considérait qu’un dieu avait créé, par sa Toute-Puissance, l’univers et la Terre en nommant chaque chose par son nom. Il avait ensuite entrepris de séparer la terre et le ciel sans pour autant les délier en créant un « monde d’en haut » et un « monde d’en bas ». Le monde d’en haut, modèle céleste du monde d’en bas, était le plus important des deux, de sorte que les Orientaux considéraient le surnaturel comme le seul réel. Ainsi, le monde d’en haut instaurait un modèle que le monde d’en bas se devait de refléter le plus fidèlement possible. Il en allait de la stabilité de l’Empire. Ainsi, chaque ville possédait son double céleste et il convenait de copier ce double céleste en regardant le ciel, les constellations. Ce lien, entre les deux mondes, était garanti par le centre. Ce centre était la Montagne sacrée, lieu où se rencontraient le ciel et la terre : lieu de communication entre les mondes. Plus on s’éloignait de ce centre, plus la matière perdait sa cohérence et plus le non-être prenait le pas. Par extension, toutes les capitales de l’Empire perse achéménide devinrent des centres : Babylone, Ecbatane, Persépolis, Suse. Les palais étaient les nouveaux centres et les ziggourats le lieu de communication entre les mondes. Les ziggourats, édifices religieux mésopotamiens de forme pyramidale à sept niveaux, se substituaient à la Montagne sacrée. En gravissant les sept étages, on opérait une « rupture de niveau » (Métanoia) : un changement psychique mettant l’individu en condition avant d’accéder au dernier étage ; une région considérée comme pure car très proche du monde céleste. Nanti de cette vision des choses, on comprend mieux les sublimes Jardins suspendus de Babylone, l’une des sept merveilles du monde antique, Paradis terrestre tendant vers le ciel. Ces jardins n’avaient d’autre vocation que reproduire le plus fidèlement possible leur double céleste. Pour en finir avec le lien entre les deux mondes, il est intéressant de constater que les textes anciens parlent de quatre fleuves bordant le Paradis (le berceau de l’humanité, donc la Mésopotamie, selon les Orientaux). Or, deux de ces fleuves sont le Tigre et l’Euphrate, que l’on connait bien. Les deux autres, en revanche, se nomment Salsabil et Kanthar et nous sont inconnus. La raison est simple : ces deux derniers fleuves sont les reflets célestes des deux premiers.

Pour les Zoroastriens, le ciel et l’astrologie étaient très importants. De là les sept incroyables enceintes de différentes couleurs entourant Ecbatane, représentant les sept planètes du système solaire (à cette époque). Globalement, on peut présenter la hiérarchie des divinités comme suit : une foule de petits dieux, destinés à entretenir certaines choses très précises, étaient dirigés par cinquante dieux plus importants, eux-mêmes assujettis à sept dieux planétaires (s’occupant notamment des destins), eux-mêmes sous la coupe de quatre dieux cosmiques (représentant chacun des quatre éléments), eux-mêmes sous la férule du dieu qui avait créé par sa Toute-Puissance l’univers. Un constat s’imposa : sans entretien, toutes les structures anthropologiques se désagrégeaient avec le temps. De cette hiérarchie et de ce constat découla une analyse logique : si les hommes devaient entretenir leurs constructions pour les faire perdurer, alors des divinités devaient également rendre l’univers pérenne. Mais l’immensité de l’univers étant incommensurable, le pouvoir des êtres divins qui devaient s’en occuper devait être infiniment plus grand que celui des hommes. Avec le temps, le Roi des rois régnant sur la presque totalité du monde (selon les Orientaux soumis à son joug), il était normal de lui attribuer l’entretien du monde. Or, si le Roi des rois entretenait le monde, alors il se devait d’être divin. Allons plus loin, il était nanti d’un devoir sacré : celui de veiller à ce que la reproduction du monde d’en haut dans le monde d’en bas soit parfaite. Etant donné que tout se passait dans le monde céleste avant d’être copié dans le monde réel (d’en bas), aucun changement dans les rites ne pouvait être accepté. Il était alors naturel de conférer la divinité au Roi des rois, bâtisseur, tout-puissant sur ses terres. Au même titre que les capitales, il était un centre, garant de la similitude entre les deux mondes.

Alexandre le Grand (356-323 av. J.C), roi de Macédoine (336-323 av. J.C), pharaon d’Egypte (331-323 av. J.C) et roi des rois perse (330-323 av. J.C)

Faire la synthèse des croyances occidentales et orientales était chimérique. Les uns fonctionnaient par le raisonnement, les autres par la prière. Les uns cherchaient à comprendre toute la chaîne de causes et conséquences tandis que les autres adoraient le Créateur, la Cause première. Pour les uns, il fallait échapper au surnaturel et tout expliquer, pour les autres la vie sur Terre était un miroir, donc le seul réel était le surnaturel. Les deux civilisations avaient fondé leurs croyances en observant, mais en ne regardant pas dans la même direction. Pour les Orientaux, la matière était maniée par un être supérieur ; vouloir exclure les dieux pour expliquer le monde était contradictoire. Alexandre s’essaya néanmoins à ce syncrétisme (fusion de doctrines différentes voire incompatibles) pour aboutir à une théosyncrasie (une foi commune pour tout le genre humain). Cette harmonisation passait par une étape fondamentale : Alexandre ne pouvait être considéré comme un homme en Europe et un dieu en Orient. Se voulant lui-même dieu universel, Alexandre, on l’a vu, demanda à être reconnu comme un dieu par les Grecs. La culture commune, la fusion des armées, le métissage des peuples, la justice étendue à tous par une loi commune, l’harmonisation religieuse, tout ceci entrait dans le vaste dessein d’Alexandre de gouverner la terre entière, autrement dit, diriger l’œkoumène. Comme Cyrus le Grand (créateur de l’Empire achéménide), Alexandre se voulait « cosmocrator » (maitre du monde).

Hépesthion (v356-324 av. J.C), général macédonien et favori d’Alexandre le Grand

Si son ambition d’une religion universelle ne pouvait être atteinte pour le moment, Alexandre, 32 ans, vivait dans le bonheur. Les princes orientaux étaient tous soumis à son autorité, l’empire se stabilisait. Pourtant, un événement inattendu dévasta Alexandre en décembre 324 : la mort d’Héphestion. Il n’eut pas même l’occasion de lui faire ses adieux. Lui qui était son plus grand ami, celui en qui il avait le plus confiance, au point de lui donner l’héritage de son empire s’il venait à mourir lui-même, fut fauché dans la fleur de l’âge par la maladie. Après plusieurs jours d’isolement, Alexandre reprit la gestion de son empire. Mais quelque chose s’était brisé en lui. Il ne parvenait plus à se concentrer. Il montait de multiples projets pour la conquête du reste du monde sans finir ses plans. Alors que le grandiose cortège funèbre d’Héphestion prenait la route de l’est, le cortège des ambassades grecques venant reconnaitre la divinité d’Alexandre arrivaient de l’ouest en février 323. Alexandre s’occupa néanmoins de creuser des canaux, de construire des navires, de réorganiser son armée et de bâtir plus de routes. Son grand projet demeurait la circumnavigation autour de l’Afrique. On lui confirma par ailleurs que la Mer Rouge faisait partie de l’Océan Extérieur.

Empire macédonien d’Alexandre le Grand à son apogée (323 av. J.C)

Alexandre avait repris goût à la vie et travaillait à la prochaine expédition en Egypte. C’est à la début juin 323 qu’une maladie inconnue le terrassa. Ses excès de beuveries y sont peut-être liés. Toujours est-il qu’Alexandre passa ses journées à prendre des bains, faire des sacrifices aux dieux, boire et donner des ordres à Néarque concernant la prochaine expédition. Celle-ci fut repoussée car Alexandre était trop affaibli. Finalement, dans la nuit du 11 au 12 juin 323 avant J.C (ou le 13 selon des sources plus anciennes), treize ans après la naissance de son empire, Alexandre le Grand expira, à 32 ans. Il avait parcouru, avec ses phalanges, plus de 35 000 km en treize ans. Soit la distance Paris-Vladivostok à pieds … Trois fois !

Le trait bleu parcouru à pieds 3 fois représente la distance parcourue par les Macédoniens
La mort d’Alexandre le Grand (nuit du 11 au 12 juin 323 av. J.C)

Avant de passer l’arme à gauche, Alexandre donna son sceau à Perdiccas, un général dont il était proche, son second depuis la mort d’Héphestion. Mais quand on lui demanda à qui il souhaitait donner son trône, Alexandre chuchota de manière presque inaudible « Kratistô » ou « Héraklès ». Si la seconde option signifiait qu’il désignait son fils, la première signifiait « au plus fort » et engendra la suite des événements. Les généraux d’Alexandre, lesdits Diadoques (« successeurs, qui recueille la succession de »), se rassemblèrent pour décider de la marche à suivre. Philippe III Arrhidée, fils de Philippe II de Macédoine et demi-frère d’Alexandre le Grand, fut immédiatement proclamé roi. Mais il avait, dit-on, une déficience mentale. On nomma alors in utero le fils à naître de Roxane également roi. Cette même Roxane qui assassina Statira, l’épouse perse d’Alexandre, par jalousie, ainsi que sa sœur, veuve d’Héphestion. Sisygambis, leur mère, se laissa mourir en refusant de manger, cinq jours plus tard, dévastée par le chagrin. Roxane, elle, donna naissance à Alexandre-Ægos en août 323, fils posthume d’Alexandre le Grand et de suite roi conjoint avec son demi-oncle sous le nom d’Alexandre IV de Macédoine.

Mais déjà, le Proche-Orient s’abîmait dans le fléau de la guerre. De fait, Perdiccas souhaitait contrôler tout l’empire et s’était attiré les foudres des autres généraux. Antipater, toujours régent de Macédoine, Ptolémée le Lagide en Egypte, Antigone le Borgne et Cratère s’allièrent pour affronter l’ambitieux Perdiccas. Ces affrontements, notamment dus au fait que Perdiccas voulait épouser Cléopâtre, sœur d’Alexandre, pour régner, provoquèrent la mort de Perdiccas et Cratère en 321. Deux éminents généraux d’Alexandre venaient de disparaitre. Cratère mort, Antipater prit sous sa protection le jeune Alexandre IV, objet de toutes les convoitises pour les généraux d’Alexandre et leurs ambitions politiques. Olympias, mère d’Alexandre le Grand, accusa Antipater et son fils, Cassandre, d’avoir empoisonné le conquérant. La mort du vieux régent de Macédoine en 319 déchaina les ambitions. De fait, Antipater ne désigna pas Cassandre mais Polyperchon, général d’Alexandre le Grand, à sa suite. Cassandre, revendiquant l’héritage de son père mais refusant son testament, engagea une lutte pour le pouvoir qui dura deux ans. Alors que Cassandre en venait à prendre le dessus en 317, Polyperchon demanda l’aide d’Olympias. La reine-mère, parce que les soldats macédoniens refusèrent de s’attaquer à la mère d’Alexandre le Grand, put s’emparer de Philippe III Arrhidée et l’assassiner. Elle poussa également la femme de ce dernier au suicide. Cassandre, l’apprenant, fit exécuter Olympias par immolation en 316 et s’empara d’Alexandre IV et de Roxane. Devenu le régent de Macédoine, régnant sur la Macédoine et une bonne partie de la Grèce, Cassandre forma une coalition avec Lysimaque, roi de Thrace, et Ptolémée d’Egypte contre Antigone le Borgne (régnant sur Asie Mineure).

Cette première coalition contre Antigone se solda par la victoire de ce dernier sur les coalisés en 311. Cette paix indiquait que Cassandre serait régent jusqu’à la majorité du jeune Alexandre IV. Sans surprise, Cassandre fit alors assassiner Alexandre IV et Roxane en 310. Cependant, la guerre reprit rapidement entre les Diadoques avec cette fois un nouvel ennemi contre Antigone : Séleucos Ier, formant l’empire des Séleucides. Héraklès de Macédoine, fils d’Alexandre le Grand et Barsine, fut utilisé par Polyperchon comme successeur légitime de son père après la mort d’Alexandre IV. Mais, Cassandre proposant un partage de la Grèce à Polyperchon, celui-ci fit assassiner Héraklès et Barsine en 309 : il avait obtenu ce qu’il voulait. Antigone le Borgne fit assassiner Cléopâtre, la sœur d’Alexandre le Grand, qui était promise à Ptolémée le Lagide, pour interdire à ce dernier la légitimité sur l’empire.

Les Diadoques (vers 310)

Nous nous arrêterons ici. Tous les proches d’Alexandre le Grand et tous ses enfants ayant été assassinés, il ne reste plus que les principaux Diadoques qui se font la guerre. Nous retiendrons les principaux d’entre eux en 310 : Ptolémée le Lagide en Egypte, Antigone le Borgne en Asie Mineure et en Syrie, Lysimaque en Thrace, Cassandre en Macédoine et Séleucos Ier le Séleucide pour la partie orientale à partir de Babylone, grossièrement. La guerre ne tarderait pas à être fatale à Antigone, passant le flambeau à son fils Démétrios. Alexandre le Grand, s’il laissait un empire morcelé derrière lui, donnait naissance au monde hellénistique ; à un métissage des populations entre occident et orient ; ainsi que, pour la postérité, des villes à son nom, une merveille du monde antique et le Museion, centre intellectuel hellénistique prépondérant et immense trésor culturel dont nous connaissons tous au moins une partie : la bibliothèque d’Alexandrie.

Sources (texte) :

Weigall, Arthur (2019). Alexandre le Grand. Paris : Éditions Payot & Rivages, 512p.

Benoist-Méchin, Jacques (2009). Alexandre le Grand. Millau : Tempus Perrin, 352p.

Sources (images) :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_le_Grand (Alexandre le Grand)

https://fr.wikipedia.org/wiki/H%C3%A9phestion (Héphestion)

https://www.larousse.fr/encyclopedie/images/Lexp%C3%A9dition_dAlexandre/1009142 (Empire full avec détails)

http://epopeealexandre.canalblog.com/archives/2010/03/01/17191430.html (mort d’Alexandre)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Diadoque (diadoques cartes)

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