Le règne de Louis XIV (partie XXI) : la vie intime du Roi-Soleil et l’affaire des poisons.

Le règne de Louis XIV (partie XXI) : la vie intime du Roi-Soleil et l’affaire des poisons.

Rappel : Percevant avec inquiétude la possibilité d’une déclaration de guerre de l’Angleterre contre son ancien allié français, Louis XIV décida en 1678 d’abandonner la Sicile au sud et de mener une action « coup de poing » en Belgique pour dissuader Londres et accélérer le processus de paix avec les Provinces-Unies. Pour cela, l’objectif était la capture de Gand. Menant lui-même l’armée et conseillé par Vauban, le roi de France fit plusieurs manœuvres de diversion, jetant ses adversaires dans la plus grande confusion. Ces derniers dégarnirent les défenses de Gand en conséquence. Louis XIV fit alors tomber la ville, puis d’autres, en quelques jours. En avril, le Roi-Soleil fit une offre de paix généreuse aux Provinces-Unies. Les marchands d’Amsterdam, las, acceptèrent volontiers et signèrent la paix de Nimègue le 10 août 1678. Progressivement, la paix fut conclue avec les différents belligérants. La France et les Provinces-Unies furent les grandes gagnantes de cette paix, tandis que l’Espagne en sortait grande perdante. Nimègue donna à la France la Franche-Comté, le Cambrésis, une partie du Hainaut, une partie de la Flandre maritime et la partie de l’Artois que Louis XIV ne possédait pas déjà. En contrepartie, la France céda des forteresses qui furent prisent pour être rendues comme monnaie d’échange, ainsi que quelques-unes trop isolées, comme Audenarde ou Courtrai. La frontière française devenait homogène, sur les bons conseils de Vauban. L’Empereur tenta de récupérer l’Alsace mais se confronta à la fermeté française. Nimègue, zénith du règne de Louis XIV, coïncida avec le déménagement de la cour à Versailles. Le Roi-Soleil, malgré des finances mises à mal, avait finalisé la construction de ce château et poussa la noblesse à s’y installer, lui permettant de mieux la contrôler. La Fronde était loin.

Faisons ici un aparté sur l’intimité du roi. Le Roi-Soleil ne pouvait se contenter de sa femme. Sa soif de conquête féminine ne pouvait être étanchée par cette Marie-Thérèse, pieuse et réservée, amoureuse certes, mais dénuée de caractère et peu attirante. Ce ne fut pas faute de donner de sa personne : elle donna 6 enfants au roi, dont 5 moururent en bas âge : Louis de France (1er novembre 1661-14 avril 1711), Anne Elisabeth (novembre-décembre 1662), Marie-Anne (novembre-décembre 1664), Marie-Thérèse (janvier 1667-mars 1672) et Philippe (août 1668-juillet 1671). Bien que remplissant son devoir conjugal, Louis XIV se désintéressa très vite de son épouse. Dès 1661, il jeta son dévolu sur sa belle-sœur : Henriette d’Angleterre, qui venait d’épouser Philippe d’Orléans, frère du roi. Celui dont Mazarin avait sciemment exacerbé les défauts et le côté efféminé pour que jamais il ne soit une menace pour son aîné ne manqua pas de décevoir Henriette, qui se consola dans les bras du roi.

Pour éviter le scandale, Anne d’Autriche conseilla alors à Louis XIV de ne plus montrer son amour de manière aussi ostentatoire à Henriette mais de détourner l’attention en feignant de s’enticher d’une autre. En l’occurrence, la belle Louise de la Baume le Blanc, demoiselle de la Vallière, 17 ans. Le roi ne se força pas pour la courtiser et tomba même dans le piège : il oublia véritablement Henriette et tomba amoureux de Louise. Le Roi-Soleil commit l’adultère et officialisa sa relation avec Louise qui souffrit de quitter l’ombre de la discrétion. Il s’éloigna de ce fait de la religion et de sa mère. Celle-ci, par ailleurs, s’éteignit le 20 janvier 1666, succombant d’un cancer du sein. Louis XIV en fut dévasté mais ne changea pas son comportement. Les amants étant finalement trop différents, la passion du roi s’essouffla. À l’automne 1666, il jeta son dévolu sur une dame d’honneur de la reine, Françoise – dite Athénaïs – de Rochechouart de Mortemart, marquise de Montespan, 26 ans.

Françoise-Louise de La Baume Le Blanc (1644-1710), duchesse de La Vallière et de Vaujours, favorite de Louis XIV de 1661 à 1667.

Cette ravissante jeune femme n’était pas heureuse dans son mariage. En 1667, en route avec le roi et la reine vers les Pays-Bas espagnols, après une cour insistante de Louis, la dame se laissa séduire. Le roi revint plus sûr de lui, c’était la fin des amours juvéniles. Le mari de Mme de Montespan apprit l’infidélité de sa femme et la traita de tous les noms. Le roi le fit enfermer puis exiler sur ses terres. Pourtant, Louis XIV n’était pas de nature à mettre clairement fin aux relations. Afin d’éviter les conflits gênants, il offrait un titre à la femme dont il voulait se débarrasser ainsi qu’une somme d’argent. C’est ce qu’il fit pour Louise, mais celle-ci refusa de laisser sa place. Alors, le roi se montrait désormais en carrosse avec la reine et ses deux maîtresses : le peuple hallucinait, les nommant les « trois reines ». Montespan fut parfaitement odieuse avec la Vallière. Cette dernière, finalement, fit ses adieux au roi et à la reine en avril 1674 et rejoignit le couvent des Grandes Carmélites pour mener une vie religieuse jusqu’à sa mort en 1710, à 66 ans. Le roi apprit son décès avec indifférence. Les religieux firent douter le roi, l’incitant à changer de comportement. Les bonnes résolutions ne durèrent pas un an. En 1676, Montespan était mieux lotie que la reine et parvint à écarter de nombreuses prétendantes. Mais le temps fit son œuvre : elle prit de l’embonpoint, tandis que sa beauté perdait de son éclat et le roi se lassa de son fort caractère. Après la naissance d’un septième bâtard en 1678, Louis XIV cessa toute relation charnelle avec Montespan.

Françoise-Athénaïs de Rochechouart de Mortemart (1640-1707), marquise de Montespan, favorite de Louis XIV de 1667 à 1681.

En 1679, une demoiselle de 18 ans attira l’œil du roi de 40 ans : Marie-Angélique de Scorailles de Roussille, demoiselle de Fontanges, qui passait pour la plus belle femme du royaume. Devenue favorite officielle, elle afficha un luxe tapageur. Montespan refusa la défaite, comme la Vallière avant elle. Et pour cause, Mlle de Fontanges n’avait pour elle que la beauté et était « sotte comme un panier ». En avril 1680 déjà, le roi se lassa. Il lui offrit un titre de duchesse ainsi que de l’argent et lui fit ses adieux. Mlle de Fontanges mit au monde un garçon prématuré qui mourut peu après. Elle ne se remit pas de cette épreuve et décéda à son tour le 28 juin 1681.

Marie-Angélique de Scorailles de Roussille (1661-1681), duchesse de Fontanges, favorite de Louis XIV de 1679 à 1680.

La plus grande erreur de Mme de Montespan fut de choisir, pour élever les bâtards du roi, Françoise d’Aubigné, la veuve Scarron, en 1669. Aimable, de bonne réputation, instruite, réservée, elle avait connu la pauvreté depuis sa naissance, en 1635. Les premiers rapports entre le roi et la veuve Scarron furent froid, en fait une cour discrète face à une femme prudente. En janvier 1674, les bâtards ayant été légitimés, Françoise d’Aubigné s’installa à la cour. Mme de Montespan lui mena la vie dure ; elle avait remarqué l’attention que portait le roi pour cette femme. Fin 1674, Louis XIV lui donna les moyens d’acheter la terre de Maintenon, ce qui la plaça au même niveau que sa rivale. Cette femme de 45 ans, désormais marquise, connut une ascension fulgurante. Dès 1680, elle devint la favorite.

Le 30 juillet 1683, la reine Marie-Thérèse mourut soudainement d’un abcès. Si le roi fut présent pour son dernier soupire, il ne le fut pas pour son enterrement. Celle qui endurera jusqu’au bout tous les affronts sans se rebeller fut vite oubliée. On conseilla alors au roi de se remarier et d’en finir avec les histoires d’amour incessantes. Le tour de force de la marquise de Maintenon fut de convaincre le roi de l’épouser elle. Il n’était évidemment pas question de l’appeler reine, elle qui n’avait pas le sang assez noble pour y prétendre. Ce fut donc une union privée secrète. Ainsi Louis XIV, descendant de Saint Louis, veuf d’une descendante de Charles Quint, se lia à cette femme de petite noblesse, veuve d’un poète, vraisemblablement dans la nuit du 9 au 10 octobre 1683.

Françoise d’Aubigné (1635-1719), marquise de Maintenon, épouse secrète de Louis XIV (1683-1715).

On peut diviser le règne de Louis XIV en trois parties selon ses amours. Après Mancini, obsession de jeunesse, la première maîtresse d’importance fut Mlle de la Vallière. Elle était la jeunesse, la tendresse. Pudique, Louise fut la plus désintéressée des maîtresses de Louis XIV : elle ne réclama ni bijoux ni terres pour sa famille pourtant peu fortunée. Elle demanda plus pour les autres que pour elle. Mlle de la Vallière fut la favorite de 1661 à 1666 puis refusa de céder sa place jusqu’en 1674. Vint ensuite l’époque Montespan, temps des plaisirs, de la frénésie sensuelle mais aussi de la gloire militaire. Le roi et la nouvelle favorite partageaient le goût du fast et de la grandeur. Mme de Montespan fut la favorite de 1666 à 1680 et resta à la cour jusqu’en 1691 pour ses enfants. Après quoi elle se retira et mourut en 1701, âgée de 66 ans. La troisième phase fut celle de Mme de Maintenon, la sagesse et la modération, qui occupa le devant de la scène durant l’automne et l’hiver du règne de Louis XIV. Elle fut la favorite de 1680 à 1715, donc jusqu’à la mort du roi. Née en 1635, elle trépassa elle-même en 1719, à 83 ans. Qu’importe leur caractère, les maîtresses de Louis XIV eurent peu ou pas d’influence sur sa politique : le roi ne tolérait pas l’influence de ses maîtresses.

Pourtant, les fréquentations du roi guidaient parfois ses décisions, notamment lors du plus grand scandale du siècle : l’affaire des poisons. À l’époque, toute disparition prématurée d’un grand personnage passait pour un empoisonnement : Henriette d’Angleterre (1670), Hugues de Lionne (1671) ou encore le comte de Soissons (1673). En 1676 eut lieu le procès de la marquise de Brinvilliers. Cette jeune femme au visage angélique avait glacé le sang de la société distinguée en empoisonnant, avec la complicité de son amant le chevalier de Sainte-Croix, son père Antoine Dreux d’Aubray, ses frères Antoine et François mais aussi tenté d’empoisonner sa sœur, Thérèse, son mari et même sa fille. Condamnée au bûcher, la marquise révéla, sans citer de noms, que nombre de hautes personnalités trempaient dans le commerce du poison. En 1679, des dénonciations amenèrent à l’arrestation de deux devineresses, la Bosse et la Vigoureux, qui accusèrent à tour de bras. Les prisons se remplirent de marchands de drogue, de bergers envouteurs, de prêtres dépravés ou encore de sage-femmes avorteuses. En mars, Catherine Deshayes, épouse de Monvoisin, dites la Voisin, 42 ans, fut arrêtée. Comme les deux précédentes, elle aida la police à mieux cerner le milieu. La Bosse et la Vigoureux, tireuses de cartes, vendaient en parallèle des poisons, pour que leurs prédications s’avèrent. Elles pratiquaient également la magie noire, d’autres signaient des pactes avec le diable, des prêtres faisaient du trafic d’hosties consacrées, aidaient par des conjurations à trouver des trésors, etc. Dans les cas les plus extrêmes, des cérémonies menaient à la profanation d’hosties et au sacrifice de nouveau-nés. Rien n’avait changé depuis le Moyen-Âge. D’autres étaient des faiseuses d’anges, aidant aux avortements et enterrant les cadavres dans leur jardin. Ces pratiques prenaient surtout leur essor auprès du prolétariat des faubourgs nord et est de Paris. Les empoisonneurs étaient souvent des femmes veuves, exerçant de petits métiers, déclassées ou marginales. Elles vivaient en bandes rivales et en réseaux rappelant les mafias.

Pour y remédier, Louis XIV créa le 7 avril 1679 une cour exceptionnelle de justice à l’Arsenal, dite « Chambre ardente ». En un peu plus de 3 ans, celle-ci somma 319 arrestations (dont 194 incarcérations) et 104 jugements (dont 36 condamnations à mort, 4 condamnations aux galères et 34 peines de bannissement ou d’amende). En juillet 1682, Louis XIV décida de dissoudre la chambre, car ses investigations l’amenaient à menacer des personnes trop haut placées. L’affaire révéla ainsi que la clientèle principale des empoisonneurs était les personnes aisées, notamment les gens de robe, voire la noblesse titrée. Les mobiles étaient peu étonnants : amour, ambition, problèmes conjugaux, cupidité, jeu, etc. Les femmes de cour voulaient devenir favorite, les hommes souhaitaient le triomphe à la guerre, au jeu ou au lit. La Voisin fut exécutée le 22 février 1680. La Reynie, dirigeant la police, apprit plus tard par la fille de La Voisin qu’on lui avait commandité, il y a quelques années, le meurtre de Louis XIV et de Mme Fontanges. La demande venait, d’après la fille de La Voisin, de Mme de Montespan, las de voir le roi lui échapper et maladivement jalouse de la beauté de Mme Fontanges, un temps favorite du roi. Un abbé et une sorcière confirmèrent avoir eu recours à la magie noire sur demande de Montespan. Mais c’est que tous pensaient que pour s’en sortir indemne, il fallait accuser les grandes personnalités du royaume.

La duplicité de Montespan reste à ce jour plus qu’incertaine quant à la magie noire et est à rejeter quant à la commande du meurtre du roi et de Fontanges. Pourtant, le roi en personne recula, acceptant de ranger les faits relatifs à Mme de Montespan dans des « cahiers séparés » qu’on ne montrerait pas aux juges. Les personnes aisées et nobles accusées furent souvent relaxées, les juges ne voulant pas se montrer trop durs avec leurs pairs. Les sorciers et autres empoisonneurs, en revanche, furent exécutés, envoyés aux galères ou emprisonnés dans de rudes conditions. Il est un dernier point qu’on ne saurait négliger dans cette affaire. Louvois, dont ce n’était pas le département, s’intéressa d’un peu trop près à l’affaire et parla avec les prisonniers. C’est que la majorité des grands personnages compromis dans le scandale étaient des amis ou des protégés de Colbert. La rivalité entre Colbert et Louvois n’est donc pas à sous-estimer dans l’affaire des poisons. La Chambre ardente cessa son activité en juillet 1682 et le roi prit un édit réglementant l’utilisation des produits toxiques ainsi que la préparation des drogues et encadrant les recherches alchimiques. Cette affaire témoigne des résidus de Moyen-Âge qui subsistent dans la société mais également de leur extinction. Plus jamais il n’y aura une telle affaire. Les années 1650-1670 marquèrent la fin de la confusion du naturel et du surnaturel ainsi que l’omniprésence de Dieu et Satan. L’affaire des poisons montra également l’infinie faiblesse de la police, preuve, s’il en fallait une autre, que l’absolutisme n’était pas un totalitarisme.

Louis XIV avait démontré sa puissance et gagné sa gloire par le traité de Nimègue (1678), il avait agrandi la France de la Franche-Comté et de plusieurs places fortes intéressantes. Il éblouissait désormais l’Europe avec Versailles, qu’il fit bâtir entre 1661 et 1715 en quatre campagnes de travaux menées par l’architecte Le Vau (1664-1668 ; 1669-1672) puis, celui-ci étant décédé (1672), par Hardouin-Mansart (1678-1684 ; 1690-1710). On reproche parfois au Roi-Soleil d’avoir englouti une fortune dans la construction de Versailles. Mesurons le propos : en 1683, la guerre (armées, marine de combat, fortifications) occupa 56.7% des dépenses annuelles de l’Etat. Versailles coûta, en tout (dont la machine de Marly pour le Grand Canal et la « rivière de l’Eure » inachevée donc non fonctionnelle) 82 millions de livres entre 1661 et 1715. Soit 3% des dépenses annuelles de l’Etat sur la période et, en somme, à peine plus que le seul déficit budgétaire de l’an 1715 (77 millions). Dans les chancelleries européennes, on écrivait en latin ou français. Toutes les élites d’Europe parlaient ou au moins comprenaient le français. On nous enviait au Roi-Soleil ses armées, ses universités, Versailles. Les normes françaises s’imposaient. La France était aussi crainte qu’admirée. Louis XIV, toujours insatisfait, poussa son avantage avec la politique des Réunions.

Sources (texte) :

Petitfils, Jean-Christian (1995). Louis XIV. Paris : Tempus Perrin, 785p.

Bluche, François (1986). Louis XIV. Paris : Fayard, 1040p.

Sources (images) :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Louise_de_La_Valli%C3%A8re (Louise de la Vallière)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Madame_de_Montespan (Mme de Montespan)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Duchesse_de_Fontanges (duchesse de Fontanges)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Madame_de_Maintenon (Mme de Maintenon)

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