Règne de Louis XIV (partie VI) : absolutisme et jansénisme (1653-1660)

Règne de Louis XIV (partie VI) : absolutisme et jansénisme (1653-1660)

Rappel : A peine Louis XIV, Anne d’Autriche et Mazarin furent-ils libérés de la Fronde à l’intérieur qu’ils durent redresser la situation à l’extérieur. C’est que l’Espagne de Philippe IV, contre laquelle la guerre n’avait jamais cessé, avait profité de la guerre civile française pour gagner du terrain aux frontières et ruiner des années d’efforts en Espagne, Italie et dans les Pays-Bas espagnols (Belgique actuelle). Mais elle n’avait su mettre la monarchie bourbonienne à genoux. Dès la fin de la Fronde (juillet 1653), Louis XIV contre-attaqua. S’appuyant sur son meilleur général, le maréchal Turenne, il dégagea Reims pour s’y faire sacrer (juin 1654) et repoussa les forces hispano-condéennes jusqu’aux frontières du royaume, reprenant les places une par une. Le roi Louis XIV participa personnellement à plusieurs sièges et s’exposa à tous les dangers. Turenne et le roi furent par ailleurs aidés par un jeune ingénieur du nom de Sébastien Le Prestre de Vauban. Malgré quelques revers, la France gagnait du terrain. La guerre franco-espagnole marqua le véritable déclin de la prépondérance espagnole en Europe. Pour autant, Louis XIV devait grassement payer ses fidèles pour qu’ils le restent. Entre 1654 et 1657, la France et l’Angleterre se rapprochèrent et conclurent plusieurs traités, dont le dernier comportait un pan militaire. Dans celui-ci, la France et l’Angleterre prévoyaient une attaque combinée contre les Pays-Bas espagnole. Les cibles étaient Dunkerque, Gravelines et Mardyck. En 1656, le Portugal, également opposé à l’Espagne, remporta une importante victoire à Badajoz. La situation espagnole devenait intenable. Or, Français et Espagnols avaient engagé de sérieuses négociations en 1656. Pendant ce temps, Ferdinand III d’Autriche passa l’arme à gauche en avril 1657. Louis XIV aurait alors pu poser sa candidature pour la succession à la tête du Saint Empire Romain germanique, mais s’abstint, préférant profiter de cet instant de faiblesse du candidat de la maison habsbourgeoise pour sceller des alliances avec plusieurs Etats du Saint Empire dans l’optique de restreindre l’Empereur et donner davantage d’indépendance aux souverains germaniques. Léopold Ier fut intronisé en promettant de ne jamais prendre les armes contre la France. En 1658, Français et Anglais attaquèrent les Pays-Bas espagnols. Turenne mena l’essentiel de l’effort et s’empara de Dunkerque, Bergues, Furnes, Dixmude, Gravelines, Audenarde et Ypres. Menacé sur tous les fronts, Philippe IV devait conclure la paix. Ces négociations allaient aboutir au traité des Pyrénées en 1659.

Pour l’heure, fin juin, une forte fièvre frappa le jeune roi qui arpentait si souvent les champs de bataille. Début juillet 1658, sa santé se dégrada plus encore. Aux portes de la mort, Louis XIV pria. Le royaume allait de nouveau connaître une grande agitation s’il venait à mourir. Son frère cadet n’avait pas été préparé à régner. On pratiqua de multiples saignées, sans effet. Marie Mancini, à qui la beauté faisait défaut, mais qui disposait d’esprit, venait de parvenir à écarter sa jolie mais sotte sœur et à plaire au roi. Quand il tomba malade, tous courtisèrent son frère Monsieur, préparant l’avenir. Tous, sauf Marie, qui pleura simplement de voir ruiné tous ses efforts. Six membres de la Faculté de médecine se rassemblèrent et Guénayt, médecin d’Anne d’Autriche, proposa l’émétique, faite à base d’antimoine, ce qui était alors considéré comme un poison. C’est pourtant ce qui sauva le roi. Finalement, Louis apprenant la peine manifestée par Marie, y vit un attachement durable et désintéressé et songea à l’épouser. Mais nous reviendrons plus tard aux histoires de cœur du roi. Si la France venait à bout de l’Espagne à l’extérieur, dompter les soubresauts de révoltes internes durant la fin de la guerre franco-espagnole n’avait pas été si aisé.

En mars 1654, l’évêque de Retz, coadjuteur, cardinal depuis 1652, gênait Mazarin qui ne pouvait réellement l’accuser depuis l’amnistie mais le gardait prisonnier. Pourtant, Retz s’évada. Camouflet pour Mazarin, qui fit traquer le cardinal et ses complices. Alors se leva une contestation, soutenue par le peuple, des ecclésiastiques : la « Fronde des curés ». Durant la fin des années 1650, Mazarin éteignit les dernières queues de fronde en achetant les récalcitrants.

Dans les années 1650 et 1660, la misère n’épargna par la France. Il y avait, dans la capitale, quelque 40 000 indigents, soit un Parisien sur quatre ; de nombreuses œuvres de charité avaient apporté leur aide (portées par François de Sales, Vincent de Paul ou encore Jeanne de Chantal) mais ce n’était pas suffisant. Pourtant, les mentalités changèrent et la situation, loin d’être ignorée, accoucha d’un scandale social. L’Etat nettoya les rues et en profita pour éduquer chrétiennement mais surtout durement les miséreux. Les hôpitaux ne pratiquèrent pourtant pas le « grand enfermement des pauvres » qui fut dénoncé. Si la discipline de fer prévalait, chacun était libre de partir. Le caractère policier s’accentua plus tard. Un édit en 1656 prohiba le vagabondage et la mendicité dans les rues. Le 18 avril 1657, le parlement de Paris exigea des nécessiteux qu’ils rejoignent l’hôpital général, sans quoi ils y seraient conduits de force. Une police privée se forma et s’assura de la mise en œuvre de la décision du parlement. En août 1661, un édit royal menaça du fouet les mendiants et de galères les récidivistes. On préférait alors interner les nécessiteux que les soigner. Tout ceci montrait l’évolution de l’emprise du pouvoir sur la société. De nouveaux curés, plus éduqués, donc plus respectueux d’une hiérarchie et d’un sens nouveau de l’autorité, modifièrent les mentalités dans les campagnes, préparant celles-ci à l’absolutisme louis-quatorzien.

Or, l’Etat de l’Ancien régime se devait de tenir simultanément trois rôles apparemment antinomiques : fédérer, diviser et niveler. La monarchie se devait de fédérer pour avancer vers un objectif commun, pour l’intérêt général ; mais aussi de diviser au sein des ordres pour garder sa place hégémonique. Si les ordres s’alliaient pour s’opposer au roi, s’en était fini de l’Etat. Si le pouvoir royal se trouvait constamment battu en brèche par le seul parlement, le roi finirait par être exécuté : c’est exactement ce qui arriva à Charles Ier d’Angleterre. Enfin, l’Etat était niveleur : il ne souhaitait pas la ruine des Grands du royaume mais cherchait à amoindrir leur puissance et les moles de résistance à son pouvoir hégémonique. La monarchie trifonctionnelle survivait ainsi en organisant les rivalités, en exploitant des dissentions, en jouant des susceptibilités, des différences, à garder la société stratifiée et équilibrée.

Le monarque devait prendre ses distances par rapport aux ordres sociaux tout en faisant partie de l’un de ces derniers. Le roi, premier gentilhomme du royaume, se faisait ainsi rassembleur et protecteur de cette noblesse dont il faisait partie. Il tenait à conserver les différences entre les ordres parce que lui-même faisait partie de cette société élitiste dont il partageait les valeurs et les comportements. Pour autant, le roi divisait pour mieux régner : il favorisait le monde des offices, encourageait les aspirations, organisait une mobilité sociale par les anoblissements, bâtissait ainsi une élite concurrente. Enfin, niveleur, il se méfiait des Grands, les écartait des hautes fonctions, voire les exilait. L’absolutisme bourbonien diffère largement du jacobinisme révolutionnaire despotique, égalitaire et essentiellement niveleur. Cependant, la monarchie française, au XVIIIe siècle, commit l’erreur de progressivement privilégier sa fonction de niveleur. L’Etat vendit de plus en plus d’offices pour tenir sa fiscalité et faire rentrer l’argent, multiplia les anoblissements, créant des tensions sociales exacerbées au sein de la noblesse. A force de réduire sa base sociologique, la monarchie, ne pouvant guère plus s’appuyer sur une noblesse solide, devint de plus en plus faible devant la société civile. « Plus l’absolutisme se renforce, plus il s’affaiblit » (Denis Richet). Ayant brisé les solidarités verticales, perdant la main sur la promotion sociale, la monarchie perdit son contrôle sur le tiers état. Ne pouvant plus diviser, l’Etat perdit son autonomie et son emprise sur la société et devint incapable de fédérer. Une crise financière grave, une coalition des forces sociales et une idéologie porteuse d’une nouvelle légitimité brisèrent alors l’Ancien régime : la Révolution française. En 1789, le pouvoir royal avait perdu sa capacité à maîtriser ses propres contradictions. N’allons pas trop vite, pour l’heure, Louis XIV jouait sa partition malgré les contre-pouvoirs que lui imposaient les « pactes » immémoriaux. Luttant pour éviter l’étouffement, l’Etat royal, même « absolu », était limité et tempéré, loin d’un État totalitaire. Ce n’est pas l’Ancien régime qui parviendra à imposer une fiscalisation généralisée à la population, la conscription obligatoire, la levée de masse ou le concept de guerre totale.

Dans les années 1660, la Fronde vaincue, l’Etat reprit son rôle de centralisateur et d’unificateur. La triarchie Louis XIV, Mazarin, Anne d’Autriche était en réalité surtout le fait du cardinal. Celui-ci, premier ministre, gardait la réalité du pouvoir. Mais il veillait, comme Anne d’Autriche, à l’éducation du jeune roi. Ce dernier approuvait et admirait, Mazarin gouvernait, appuyé par la confiance et l’amour – qu’il soit charnel ou non – de la reine mère. C’est durant cette période que Mazarin, par tous les moyens et aidé par Colbert, s’enrichit personnellement à coups de détournements ou par persuasion. Ceci n’empêcha pas le cardinal de bien faire son travail. Dès 1651, il envoya partout des commissaires extraordinaires pour assurer la levée des impôts. En 1653, il fit de même pour la justice, la police et les finances, sans toutefois faire renaître la fonction de maître des requêtes. L’assemblée générale des trésoriers de France tenta de contre-attaquer en invoquant les déclarations royales de 1648, jamais abrogées. Louis XIV cassa de suite les ordonnances : les intendants avaient gagné.

Cornélius Jansen (1585-1638), évêques d’Ypres (1636-1638) et auteur de l’Augustinus.

Pour la monarchie française, l’Eglise restait un éminent pilier. Or, le Flamand Cornélius Jansen, dit Jansénius (1585-1638), prêtre, docteur en théologie et évêques d’Ypres, fut l’auteur de l’Augustinus, un traité en trois volumes écrit en latin qui parut en 1640 (après sa mort) et se voulait un exposé impartial de la doctrine de saint Augustin mais était en réalité une critique sévère de l’hérésie pélagienne et donc des jésuites. Au Ve siècle, un ascète d’origine celte, Pélage, soutint que l’Homme pouvait atteindre un état de perfection morale sans la grâce divine, peu importe le péché originel, indiquant que l’Homme peut éviter le péché par son seul libre-arbitre, vouloir le bien et pratiquer la vertu. Saint Augustin, l’un des Pères du catholicisme, critiqua vertement Pélage en montrant que ce qu’il avançait rendait le sacrifice de Jésus Christ inutile. Selon Augustin, évêque d’Hippone, l’Homme était prédestiné au salut : Dieu choisissant, seul, ceux qui bénéficieraient de la vie éternelle, réaffirmant l’importance de grâce divine, peu importe les bonnes ou les mauvaises actions ; Dieu insufflerait un souffle dominant pour le bien, attrait nommé « grâce efficace », sans tout à fait priver l’Homme de sa liberté. Saint Thomas d’Aquin et les médiévalistes se rangèrent derrière saint Augustin avec un ton plus modéré, conciliant grâce et liberté humaine.

Saint Augustin d’Hippone (354-430), évêques d’Hippone, un des quatre Père de l’Eglise et un des docteurs de l’Eglise.
Saint Thomas d’Aquin (1225-1274), moine dominicain et un des docteurs de l’Eglise.

La Renaissance et le mouvement humaniste relancèrent le débat sur la liberté humaine. Les luthériens et les calvinistes se rangèrent du côté des augustiniens mais en durcirent le ton, ne laissant aucune place au libre-arbitre ; tandis que les jésuites choisirent le pélagianisme et le molinisme (du jésuite Molina), prônant une religion plus humaine et une nouvelle morale. En 1547, le Saint-Siège, après le Concile de Trente (1545-1563), réaffirma l’importance du libre-arbitre. L’ouvrage de Jansénius, augustinien, fit polémique en France et Mazarin y vit l’occasion de se rapprocher de Rome, en 1653. Il condamna alors plus vigoureusement que ne l’aurait souhaité le Saint-Siège le jansénisme naissant. Mazarin voulait notamment discréditer le cardinal de Retz, qui s’était échappé et avait trouvé refuge à Rome. Le 24 février 1655, une assemblée du Clergé condamna les Cinq Propositions, un ouvrage écrit par Antoine Arnauld défendant celui de Jansen en inventant une distinction entre le droit et le fait dans ses propositions. Il assurait qu’on pouvait ainsi accepter le droit et refuser les faits, niant l’accusation d’hérésie qu’on assénait sur l’œuvre de Jansen. Arnauld, qui devint de plus en plus influent, fut condamné le 14 janvier 1656 sur la question du fait. Une bulle du pape Alexandre VII, fulminée le 16 octobre 1656 et combattant la distinction d’Arnauld appuya la condamnation. Il fallut pourtant un lit de justice (29 novembre) pour faire enregistrer la bulle à Paris. Mais Mazarin avait mieux à faire et laissa les choses s’apaiser, offrant un répit à Port-Royal, repère janséniste à Paris. Du reste, si Mazarin fit un calcul politique, Louis XIV nourrit une véritable haine contre le jansénisme. Le jeune roi avait été influencé par son confesseur, ardent polémiste anti-augustin. Les jansénistes s’opposaient à la puissance romaine, à l’infaillibilité pontificale, au droit divin et donc aux injonctions de l’autorité, socle de l’absolutisme. Le 13 décembre 1660, Louis XIV annonça vouloir en finir avec le jansénisme. En parallèle, il décida de dissoudre la Compagnie du Saint-Sacrement, qui comptait autant de jansénistes que de molinistes dans ses rangs mais avait le défaut d’échapper au contrôle de l’État.

Pélage (v350-v420), moine ascète breton jugé hérétique par l’Eglise catholique en 418.
Concile de Trente, Italie (1545-1563).

Dans la fin des années 1650, l’argent manquait à l’Etat pour payer son armée. Le parlement, nous l’avons vu, profita de cette faiblesse passagère pour bomber le torse : il s’éleva contre de nouvelles taxes juste inventées par la monarchie française (sur les actes de baptême, d’enterrement, les parchemins et papiers marqués). Début avril 1655, les parlementaires voulurent tenir session en l’absence du roi. Louis XIV, en train de chasser à Vincennes, rentra à Paris et imposa ses édits par lit de justice (il ne prononça d’ailleurs jamais les mots « l’Etat, c’est moi ! » qu’on lui prête à tort). Pourtant, le parlement ne céda pas et fit des remontrances (illégales car faisant suite à un lit de justice) que le roi balaya d’un revers de main. Finalement, à force de persuasion et surtout en retirant les édits sur le papier timbré et les actes de baptême ainsi qu’en versant 100 000 écus au président du parlement pour avoir fait preuve de conciliation, la crise parlementaires s’apaisa. Il n’en allait pas de même dans les campagnes.

La misère poussa la population rurale à la sédition. Les défaites françaises aux frontières en Flandre en 1656 et 1657 poussèrent quelques gentilhommes à encourager les soulèvements. Des rébellions éclatèrent à Marennes (1656), à Sens et Saint-Fargeau (mai 1657), en Normandie (septembre 1658) mais également en Auvergne, dans le Médoc et la Saintonge. Le mouvement le plus important, dit soulèvements des Sabotiers, émergea en Sologne le 29 mai 1658 : 7 000 paysans protestèrent contre la dévaluation de trois à deux deniers d’une piécette de monnaie (soit une perte d’un tiers du revenu pour les paysans). Ceux-ci assiégèrent en règle Sully. Le maréchal d’Harcourt et Condé s’intéressèrent au soulèvement mais n’y apportèrent aucune aide. Le pouvoir, dont toutes les armées étaient occupées aux frontières, mit du temps à réagir. En décembre 1659, le meneur des Sabotiers fut décapité à Paris. La révolte s’abîma alors.

Petitfils, Jean-Christian (1995). Louis XIV. Paris : Tempus Perrin, 785p.

Bluche, François (1986). Louis XIV. Paris : Fayard, 1040p.

Lynn, John A. (1999). Les guerres de Louis XIV. Londres : Tempus Perrin, 568p.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Cornelius_Jansen (Jansen)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Augustin_d%27Hippone (Saint Augustin)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_d%27Aquin (Saint Thomas d’Aquin)

https://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A9lage_(h%C3%A9r%C3%A9siarque) (Pélage)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Concile_de_Trente (Concile de Trente)

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