La guerre civile espagnole et l’Espagne franquiste (partie VII) : Brunete, Belchite et Teruel, les grands affrontements (juillet 1937-mai 1938)

La guerre civile espagnole et l’Espagne franquiste (partie VII) : Brunete, Belchite et Teruel, les grands affrontements (juillet 1937-mai 1938)

Rappel : En 1937, le gouvernement de Largo Caballero était parvenu à faire s’entendre la myriade de mouvances républicaines et à redresser la situation. Pourtant, il ne résista pas au PCE qui s’imposa en anéantissant le POUM (mouvement marxiste anti-stalinien) et en prenant l’ascendant. Largo Caballero démissionna et Juan Negrin, véritable marionnette du PCE, prit sa suite, laissant aux communistes encore davantage de contrôle. La situation militaire ne cessa pour autant d’évoluer. Au début de l’été 1937, les franquistes s’élancèrent contre Bilbao, Santander et Gijon pour mettre à genoux la partie nationaliste des Asturies et du Pays Basque loyale à la République, dirigée par José Aguirre.

Revenons quelques mois en arrière. Alors que les franquistes s’appliquaient à réduire la poche du nord, la République avait les mains libres pour attaquer au centre et déstabiliser l’adversaire. Une telle attaque entendait d’ailleurs soulager l’armée du Nord. L’absence de la Légion Condor, occupée au nord, conférait à la République la supériorité en avions et blindés au centre. Mieux encore, l’armée républicaine était enthousiaste suite à la victoire de Guadalajara, ses chefs étaient populaires et les Brigades internationales avaient atteint leurs effectifs maximums. Tout ceci conférait un évident avantage stratégique à la République sur ce front. Conscient de la conjoncture favorable, Largo Caballero (encore chef du gouvernement républicain à ce moment) monta le « plan P » : une offensive en direction de l’Estrémadure et du Portugal pour couper l’Espagne nationaliste en deux. Ambitieux, ce plan restait réalisable. Pourtant, en avril 1937, nous l’avons vu, Moscou avait décidé d’éliminer Largo Caballero de l’équation. Ce socialiste souhaitait trop l’indépendance de l’Espagne pour rester en place. Les deux ministres communistes, Hernandez et Diaz, protestèrent contre la volonté de Moscou lors de la séance du Comité central du PCE, en vain. Caballero fut remplacé par Negrin et sa judicieuse offensive abandonnée.

Les attaques républicaines vers Madrid le 10 avril, puis vers Ségovie le 30 mai et contre Huesca le 11 juin furent toutes marquées par un surnombre des républicains et une résistance acharnée des franquistes, empêchant les assaillants d’atteindre leurs objectifs. Si Largo Caballero avait été écarté, sa volonté subsistait : une véritable contre-attaque, similaire au plan P, fut planifiée vers Madrid, contre Brunete, et déclenchée le 6 juillet 1937. Seulement voilà, la fenêtre de tir perçue par Largo Caballero était passée. À cette date, les franquistes avaient déjà fait tomber le Pays Basque et n’avaient pas encore attaqué en Asturies : ils pouvaient donc facilement réagir. Qu’importe, le général Miaja engagea pas moins de 70 000 hommes, dont 12 000 internationaux, dans l’offensive de Brunete. Pour la soutenir, la République avait déployé 140 pièces d’artillerie, 128 chars et plus de 200 avions. Après avoir fait courir des rumeurs sur une attaque en Aragon, les Républicains enfoncèrent le front dans la nuit du 5 au 6 juillet, par surprise. La division de Lister fit une percée et encercla Brunete. Villanueva de la Cañada tomba. Mais plusieurs poches de résistance franquistes demeurèrent sur les arrières. Villanueva del Pardillo, Villafranca del Castillo et Quijorna finirent par tomber entre le 9 et le 11 juillet au prix de lourdes pertes. Les républicains étaient tout proche de l’axe stratégique Madrid – Talavera. Lister voulut attaquer Getafe pour enlever à la Légion Condor l’un de ses plus importants aérodromes. Mais le conseiller soviétique qui l’accompagnait ne fut pas de cet avis. Pourtant, Lister avait les blindés pour obtenir cet avantage significatif …

Franco réagit rapidement. Il ordonna le transfert de brigades navarraises, de pièces d’artillerie et de la Légion Condor, notamment des tous nouveaux avions allemands Messerschmitt (Me 109) vers le centre. Le 13 juillet, la progression républicaine s’enraya. Le 18, les forces du Caudillo contre-attaquèrent. Malgré des tranchées creusées par les républicains, trois divisions franquistes, soutenues par l’aviation, enlevèrent les positions une à une sous un soleil de plomb. Au prix de 20 000 morts, les républicains conservèrent Quijorna et les deux Villanueva. Les Brigades internationales furent saignées à blanc. Les franquistes, eux, avaient perdu quelque 17 000 morts. La Condor maîtrisait désormais le ciel castillan. Franco avait sacrifié beaucoup pour reprendre Brunete. C’est qu’il ne voulait plus concéder une victoire morale, peu importe l’intérêt stratégique. Guadalajara devait être le seul exemple. Les républicains, comme toujours, avaient fait une percée mais n’avaient su l’exploiter. Le 26 juillet 1937, la bataille de Brunete était terminée et n’avait retardé que d’un mois la campagne de Santander par laquelle Franco entendait faire tomber les Asturies.

Vision tactique de l’offensive de Brunete (6-26 juillet 1937).

Les Santanderiens, Asturiens et Basques formaient encore une armée du Nord forte de 80 000 hommes en août. Une question demeurait : maintenant que Bilbao était tombé, les 30 000 Basques, nationalistes et catholiques, se battraient-ils pour une République de gauche qui n’avaient su protéger leur pays ? De fait, les Italiens, avec l’assentiment de Franco, entrèrent très vite en négociations avec les Basques. Alors que l’accord était imminent début juillet, les succès initiaux de Brunete firent hésiter les Basques. Le 15 août 1937, le CTV, soutenu par les brigades navarraises revenues au nord, enleva le col de l’Escudo au prix de lourdes pertes. Santander était à portée. L’attaque franquiste depuis le sud n’était pas due au hasard. Elle avait pour objectif d’acculer les Basques et de les pousser à une décision. Le 22 août, Santander tomba. Le 25, les Basques passèrent un accord, le « pacte de Santoña », avec les Italiens. Le 26, ils se rendirent officiellement. Seulement voilà, Franco, fatigué d’attendre, avait demandé à abandonner les négociations le 25 ! Les Italiens leur avait promis qu’ils pourraient partir par bateaux, Franco les en empêcha. Ceci dit, les Italiens avaient promis un passage libre jusqu’au 24 août. Ils n’avaient pas failli à leur parole. Les navires étaient simplement arrivés en retard.

Ce même 24 août, la République déclencha une autre attaque surprise, cette fois en Aragon, direction Saragosse. Vicente Rojo avait, comme à son habitude, prévu un plan brillant. L’attaque républicaine se fit sans préparation d’artillerie ni bombardement : la surprise fut totale. Les voies de communication avaient préalablement été sabotées par des commandos républicains. Les objectifs seraient Belchite, Quinto et Zuera avant de fondre sur Saragosse. L’aviation et les blindés devaient former les unités de choc.

Vicente Rojo Lluch (1894-1966), général de la république espagnole.

Pourtant, certaines unités, entamées par l’offensive de Brunete ou dont le transfert était difficile à dissimuler, retardèrent le déclenchement de l’opération. La surprise fut néanmoins totale. Le front fut d’emblée percé à Belchite et Quinto sans tout de suite prendre ces villes. Les républicains s’emparèrent ensuite de Zuera. Mais la résistance acharnée des franquistes et l’inexpérience des officiers républicains firent échouer l’offensive à 10 kilomètres de Saragosse. Les républicains s’attardèrent sur les poches de résistance au lieu de fondre sur la capitale aragonaise. Quinto tomba devant les républicains le 25 août, Belchite le 6 septembre. Une contre-attaque franquiste reprit Zuera et d’autres villes. Les républicains avaient grappillé du terrain, rien de plus. Les pertes furent lourdes des deux côtés. Cette offensive était finalement peut-être plus politique que militaire. De nombreuses troupes communistes investirent les villes aragonaises sous domination anarchistes et reprirent le contrôle. Cette offensive ne changea en rien le cours des événements au nord.

Vision tactique de la bataille de Belchite, l’offensive vers Saragosse (24 août – 6 septembre 1937).

Seules les Asturies demeuraient désormais aux républicains dans la partie septentrionale de l’Espagne. Si Gijon, aux mains des anarchistes, et Léon voulaient encore se battre, il n’en allait pas de même de la province, lasse. Une « cinquième colonne » se créa ainsi. Du reste, 10 divisions encore sur pieds et la réquisition de mineurs expérimentés permirent de consolider les défenses asturiennes en construisant des casemates et des nids de mitrailleuses sur les hauteurs. La Condor fut d’une grande aide pour venir à bout de ces édifices avec des « tapis de bombes ». L’aviation soviétique leur compliqua la tâche, causant des pertes significatives à la Condor mais au prix de 51 de leurs 80 appareils. De par ces entrefaites, la progression franquiste fut sérieusement ralentie les premières semaines. Le 17 octobre, le Conseil souverain des Austries ordonna la destruction des installations industrielles et l’évacuation. Le 21 octobre 1937, les franquistes s’emparèrent de Gijon. Les Asturies, son bassin houiller et les deux tiers de la production de charbon de l’Espagne tombèrent aux mains des nationalistes. La répression fut nettement plus sévère dans les Asturies que dans le Pays Basque. Seul l’est du pays et une partie du centre restaient républicains.

Carte de l’Espagne en octobre 1937 après la campagne du Nord des franquistes.

Fin 1937, les forces de part et d’autre étaient d’un peu plus de 500 000 hommes. N’oublions pas qu’en cette fin d’année, deux tiers des combattants de l’armée du Nord (républicains) passèrent du côté franquiste. Les nationalistes avaient l’avantage dans le ciel : les républicains pouvaient rivaliser avec leurs chasseurs mais manquaient de bombardiers. Franco entendait attaquer à Guadalajara pour couper Madrid de Valence et Barcelone. Pourtant, les républicains en décidèrent autrement.

La République, fin 1937, ne se faisait plus guère d’illusions. Alors que le pessimisme gagnait les hautes sphères, des rumeurs de négociations se répandirent. Quoi qu’il en soit, si la République devait négocier, il fallait qu’elle soit en bonne position. C’est pourquoi les républicains attaquèrent violemment à Teruel, saillant du territoire franquiste dans l’est de l’Espagne, le 15 décembre 1937. Indalecio Prieto, ministre de la Guerre, pessimiste mais voulant gagner la paix, avait décidé de l’offensive. Le 15 décembre, par des température avoisinant -20 et qui devaient se maintenir sur la fin d’année, Rojo lança 100 000 hommes contre les franquistes. Le froid était terrible, faisant geler la graisse des moteurs et mourir les hommes. Pour autant, les républicains emportèrent les hauteurs de Muela assez rapidement, puis celles de Muleton et Concud le 22 décembre. Franco, abandonnant ses plans contre Guadalajara, contre-attaqua le 29. Davila, Varela et Aranda menèrent les nationalistes. La Légion Condor entra en action. Le 31 décembre, les Navarrais de Varela reprirent Muela.

Vision tactique de la bataille de Teruel (15 décembre 1937-22 février 1938).

Le 1er janvier 1938, les républicains enlevèrent Teruel. C’était la première capitale de province conquise par l’armée populaire. Franco fit monter au créneau les Marocains de Yagüe et la cavalerie de Monasterio. Après d’âpres combats aériens, Yagüe et Aranda firent des milliers de prisonniers en attaquant Sierra de Palomera. Malgré une défense efficace des républicains, ceux-ci rompirent le contact et se replièrent en laissant 15 000 prisonniers et beaucoup de matériel derrière eux. Les républicains avaient eu 15 000 tués, les franquistes 14 000 tués et 16 000 blessés. Le froid n’avait épargné personne. Certaines théories avancent que les Soviétiques voulaient se débarrasser de Prieto et avaient donc privé l’armée républicaine de munitions et d’armes pour que l’offensive de Teruel, déclenchée par Prieto, échoue. Il n’existe à ce jour aucune preuve irréfutable d’une telle machination.

Ayant repris Teruel, Franco émit l’idée d’une marche à la mer. Après tout, la bataille de Teruel avait amené en Aragon les nationalistes, qui se trouvaient désormais idéalement placés, avec tous les meilleurs chefs militaires, pour couper l’Espagne républicaine en deux. Davila devait diriger l’opération. Les corps d’armées furent confiés à Yagüe, Solchaga, Moscardo et Aranda. Un cinquième corps, celui de Varela, restait en réserve. Le commandant allemand von Thoma, menant 4 bataillons blindés, soit 180 chars, demanda à ce que ses tanks restent groupés et non disséminés dans l’infanterie, préfigurant un des aspects du Blitzkrieg. Le 7 mars 1938, l’offensive fut déclenchée. Yagüe s’enfonça et prit Caspe le 17. Les blindés semblaient inarrêtables. Franco demanda à Yagüe de franchir l’Ebre et de prendre à revers les troupes républicaines qui faisaient face à Moscardo et Solchaga. Le 25 mars, avec la prise de Faga, ce plan fut exécuté. Seul Valentin Gonzalez, El Campesino, résista avec acharnement à l’avancée franquiste. Le 3 avril, il flancha, entraînant la chute de plusieurs villes. La panique gagna Barcelone qui fut bombardé par les Italiens du 17 au 19 mars. Les bombes italiennes firent 3 000 morts et 5 000 blessés graves. Le Pape et la communauté internationale en furent scandalisés. Le 6 avril, les Navarrais atteignirent la mer Méditerranée à Vinaroz.

Carte de l’Espagne en juillet 1938, à la veille de la bataille de l’Ebre.

Avec le retour de Léon Blum à la présidence du Conseil en France, Negrin demanda plus de soutien. Du fait des bombardements de Barcelone, la population française y était favorable. La France livra davantage de matériel. Les Soviétiques aidèrent également ce Front Populaire qui n’était presque plus que communiste. Prieto fut visé par une campagne haineuse et fut contraint à la démission début avril 1938. Pourtant, il avait de bonnes relations avec la CNT, indispensable à la guerre. Negrin prit sa suite à la Guerre. Celui-ci releva le moral et remis sur pieds l’armée populaire. Il chercha une paix négociée avec Franco qui serait « sans représailles » pour les soutiens à la République. Franco refusa. Il n’accepterait qu’une capitulation sans condition. Negrin, qui voyait les tensions monter en Europe, du fait de l’Allemagne, espérait une guerre à grande échelle sur le continent qui puisse radicalement changer le cours de la guerre civile en Espagne. Il fallait tenir bon. L’armée populaire était désormais uniquement dirigée par des chefs ayant été promus au mérite comme Valentin Gonzalez (El Campesino), Enrique Lister ou Cirpriano Mera. Tous les chefs étaient communistes (dont ceux des 27 Brigades internationales) à l’exception de Mera, anarchiste. Ils manquaient cependant de vision stratégique, sauf Modesto. L’armée populaire était presque exclusivement espagnole. Même les Brigades internationales comptaient désormais 70 à 80% d’Espagnols et avaient subi une saignée. Des 31 359 brigadistes enrôlés avant le 30 avril 1938, il n’en restait que 15 992 le 26 juillet 1938 (4 575 avaient été tués, 5 062 étaient rentrés chez eux car gravement blessés et 5 000 avaient déserté). Pourtant, ils furent essentiels dans la dernière grande bataille : la bataille de l’Ebre.

Sources (texte) :

Bennassar, Bartolomé (1995). Franco. Paris : Perrin, 415p.

Bennassar, Bartolomé (2004). La guerre d’Espagne et ses lendemains. Paris : Perrin, 559p.

Sources (images) :

https://www.calendarz.com/on-this-day/july/26/battle-of-brunete (bataille de Brunete)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Vicente_Rojo_Lluch (général Rojo)

http://cmscw.50webs.com/history/teruel.htm (bataille de Teruel)

http://www.historyisnowmagazine.com/spanishcivilwarmaps (cartes Espagne fin 1937 et mi-1938)

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