Le règne de Louis XIV (partie XL) : le trépas du Roi-Soleil (1715)

Le règne de Louis XIV (partie XL) : le trépas du Roi-Soleil (1715)

Rappel : Dresser le bilan de la guerre de succession d’Espagne, matériellement et humainement parlant, n’est pas chose aisée. Les armées furent d’une taille inédite, les affrontements furent majoritairement des sièges et un « blocage tactique », du fait de la logistique et du ravitaillement, limita l’ampleur des opérations. Pour autant, la guerre fit environ un million de morts et bouleversa le paysage géopolitique européen. La Prusse et la Savoie y gagnèrent une couronne, entamant les mouvements d’indépendance allemand et italien ; la France plaça un Bourbon en Espagne et entérina les conquêtes précédentes du règne de Louis XIV, mais cessa d’être la première puissance d’Europe et concéda à la Grande-Bretagne les clefs de la domination sur les mers, qui lui donnera un ascendant commercial majeur. Celle-ci, avec le couronnement de George de Hanovre, à la suite du décès de la reine Anne (1714), bouleversa un temps les priorités stratégiques britanniques. L’Autriche se trouva, pour sa part, lésée dans l’affaire, tout comme les Provinces-Unies qui, ruinées, perdirent leur ascendant commercial à la Grande-Bretagne. En Europe, la balance entre les puissances devint la norme.

Sur les dernières années de son règne, nous l’avons vu, le vieux roi eut à affronter de lourdes épreuves. La première, non des moindres, fut la guerre. Le 20 janvier 1709, Louis XIV perdit son fidèle confesseur, le P. de la Chaise. Il le remplaça par le P. Le Tellier, nettement moins modéré. Le 29 octobre 1709, il prit la décision de raser le monastère de Port-Royal des Champs par une action de police, car il était exaspéré de voir ces dames refuser de reconnaître la bulle pontificale Vineam Domini de 1705 interdisant le silence respectueux valant refus de condamner les cinq propositions de l’Augustinus. La croisade contre le jansénisme reprenait. Ce fut d’ailleurs Louis XIV qui harcela le pape Clément XI de 1703 à 1705 pour obtenir une telle bulle. Mal conseillé par son confesseur jésuite ultramontain et antijanséniste, Louis XIV, en rasant de force Port-Royal des Champs, en fit un martyr. Les chefs augustiniens, dont le duc de Noailles, s’opposèrent à Rome pour la liberté de l’Eglise de France. Le roi en étant ulcéré, l’opposition accepta que Port-Royal des Champs soit fusionné avec Port-Royal de Paris. Port-Royal des Champs fut de facto aboli par un arrêt en 1707 puis une bulle pontificale et des lettres patentes en 1708. Un pèlerinage se forma toutefois sur le lieu rasé, ce qui irrita plus encore Louis XIV. On procéda à des exhumations de religieuses dont les corps furent dispersés çà et là ou jetés dans des fosses communes.

Juste après l’interdiction du protestantisme en France (1685) vinrent la fistule anale du roi (1686) puis la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1689-1697) et les rudes années 1693-1694, qui furent perçues comme des punitions divines par les huguenots ; de la même manière, juste après l’acharnement du roi sur Port-Royal et le jansénisme (1709) vinrent le Grand Hiver (1709) et les rudes années 1709-1710, qui furent les pires de la guerre de Succession d’Espagne pour la France, mais surtout l’hécatombe qui frappa la famille royale avec la mort successive des trois dauphins en 1711-1712 (Monseigneur, premier dauphin, la duchesse de Bourgogne et le duc de Bourgogne, deuxième dauphin, le duc de Bretagne, troisième dauphin), du nourrisson du duc de Berry – donc arrière-petit-fils du roi – en 1713 et du duc de Berry lui-même en 1714 ; qui apparurent comme autant de châtiments divins. Le roi en fut cruellement touché, mais n’abandonna pas sa lutte pour autant. Le cardinal de Noailles n’avait de cesse de s’opposer au pouvoir en promouvant les Réflexions morales du P. Quesnel, écrits que Rome avait condamnés dès 1708. Louis XIV réclama au pape une bulle plus précise. Le pape céda en 1713 par la bulle Unigenitus, condamnant 101 propositions de l’ouvrage. C’était donner à l’opposition de quoi contre-attaquer. Neuf prélats français (sur 49), dont Noailles, s’opposèrent à la bulle. Un quasi-schisme de l’église française émergeait avec ce second jansénisme, qui, du reste, ne ressemblait que peu au premier. Cette nouvelle confrontation découlait d’une politique d’union de trône et de l’autel dans les dernières décennies du règne de Louis XIV, politique assez éloignée de la tradition capétienne.

Si l’édit de Fontainebleau n’eut pas l’effet désastreux qu’on lui prête aujourd’hui ; c’est bien plus la bulle Unigenitus – rarement évoquée – qui eut un grand impact sur la pérennité de la monarchie. Il fit perdre à une part non négligeable de sujets le respect de la papauté, le sens de la religion et du sacré. Cette bulle soudera l’opposition populaire et parlementaire, engendrant une haine de Rome et des Jésuites, mais aussi du roi de France, proche de ces derniers. Cette opposition combattra la hiérarchie religieuse et l’ordre monarchique, le « despotisme » ecclésiastique et la « tyrannie » des Bourbon. Après l’apogée du droit divin sous Louis XIV, la monarchie connut une désacralisation progressive que le despotisme éclairé du XVIIIe siècle contribua à accélérer, substituant le froid pouvoir rationnel à la douceur paternelle. Alors que la Contre-Réforme atteignait son apogée, la crise gallicano-janséniste immisçait le républicanisme dans la société et faisait songer à certains que le roi n’était pas essentiel à la conduite de la nation. L’aura mystique disparue, on comprend mieux comme la monarchie absolue pu tomber si facilement durant la Révolution française.

Louis de Pontchartrain, brillant chancelier, fatigué, profita de ces démêlés et de la légitimité chancelante d’une telle attaque de l’autorité temporelle contre un évêque qui n’était pas en faute, pour mettre sa démission sur la table. Louis XIV, fier et ne supportant pas le chantage, l’accepta. Pontchartrain fut ainsi remplacé par Voysin. Ce dernier ne disposa jamais de l’indépendance nécessaire et s’avéra moins bon juriste, acceptant tout du roi. Et ce y compris quand ce dernier osa, en 1714, faire de ses fils naturels, le duc de Maine et le comte de Toulouse, des princes du sang, en violation flagrante du droit fondamental du royaume. Le Roi-Soleil agit ainsi car le décès d’une partie significative de sa descendance légitime menaçait sa lignée ; il fallait également tenter de limiter le pouvoir de Philippe d’Orléans, qui allait certainement devenir Régent à la mort du roi, en l’entourant d’un conseil de régence. Louis XIV imitait en cela son père, qui dans la perspective de sa mort, avait essayé de restreindre la position de sa femme Anne d’Autriche par un conseil de régence. Louis XIV déclara par-là ses deux fils naturels successibles par l’édit de juillet 1714, les introduisit dans le Conseil prévu pour la Régence par son testament du 2 août 1714 et leur donna le titre de princes du sang par une déclaration de mai 1715. Cela allait à l’encontre d’une règle fondamentale : on nait prince du sang, on ne le devient pas. C’était également, nous l’avons compris, une déclaration de défiance envers le futur régent. Enfin, c’était instaurer un régime inconnu : une régence sans régent, avec une dangereuse séparation des pouvoirs.

Après l’hécatombe de 1711-1712, quelque chose s’était brisé en Louis XIV, il n’avait plus la force de résister à son entourage. Maintenon, qui appréciait grandement Maine, incapable bâtard du roi, ne rendit pas un fier service à la France en poussant Louis XIV à en faire le chef des troupes de la maison du roi sous la régence. Philippe d’Orléans eut bien du mal à récupérer cette prérogative. Car si les décisions du roi furent enregistrées sans discussion, il était clair – notamment pour le roi – que son testament, comme celui de son père avant lui, allait être cassé à sa mort.

D’ailleurs, celle-ci ne tarda pas. Le 9 août 1715, une première alerte perturba la routine de Versailles : Louis XIV connut ses premières fatigues. Pourtant, il continua à travailler comme à son habitude. Le 12, sa jambe le faisant souffrir, Louis XIV s’alita et son médecin, Fagon, diagnostiqua une sciatique. Le roi continua inlassablement son travail, recevait des ambassadeurs debout malgré une horrible douleur qu’il dissimulait, présidait des conseils de ministres… Bientôt, la douleur perturba ses nuits, le faisant se lever tard et se coucher tôt. Les médecins et chirurgiens, réellement inquiets, veillaient sur le roi sans discontinuité. Des saignées furent opérées mais fatiguèrent davantage le roi qu’autre chose. Le 19, il cessa de sortir de ses appartements. Le 22, il s’évanouit quelques minutes. Les médecins ne comprirent que bien trop tard (le 24) qu’il ne s’agissait pas d’une sciatique mais de la gangrène. Le 25 août, jour de la Saint-Louis, le roi apprécia les célébrations mais depuis son lit. Lorsqu’enfin on découvrit par des incisions dans la jambe de Louis XIV la véritable nature du mal, le roi comprit que son heure était venue.

Il était résigné et pas mécontent d’accueillir la mort juste avant ses 77 ans. Il profita pleinement de ses derniers instants de lucidité pour donner les directives les plus importantes ; il fit ses adieux à tous ses proches, aux serviteurs, aux dames, aux courtisans et prépara sa succession. L’antichambre du roi était noire de monde. Chaque jour que sa vie s’allongeait était un jour de moins de régence pour son arrière-petit-fils de cinq ans. Le roi pria avec une grande piété jusque dans ses derniers instants ; après avoir répété les mots nunc et in hora mortis (« maintenant et à l’heure de notre mort » du « Je vous salue, Marie ») plusieurs fois avec des prêtres, ses derniers mots furent « Ô mon Dieu, venez à mon aide ; hâtez-vous de me secourir. » Louis XIV passa l’arme à gauche en grand chrétien, le 1er septembre 1715, quatre jours avant ses 77 ans, après avoir ceint la couronne pendant 72 ans, dont 54 ans de règne personnel. L’Europe entière saisit la portée de l’événement, tel le roi de Prusse Frédéric-Guillaume, qui annonça solennellement « Messieurs, le Roi est mort ! » Mais comme le Roi-Soleil le rappela juste avant son décès : « Je m’en vais, mais l’Etat demeurera toujours. »

Mort de Louis XIV, le 1er septembre 1715.

Dressons ici un court portrait. Le roi n’était pas avare en paroles, il savait le poids de ses mots ; il était bienveillant, essayait de mettre à l’aise ceux à qui il parlait, préférait à la lecture écouter les érudits, humble sur les sujets qu’il ne maîtrisait pas parfaitement, il n’avait aucune vie privée et l’acceptait ; il obéissait à ses médecins et confesseurs, nourrissait une immense curiosité, était doté d’une fabuleuse mémoire et faisait montre d’une maitrise de soi extraordinaire : il n’eut que trois grosses colères en 54 ans d’un règne personnel pourtant tumultueux. Courageux jusqu’à s’exposer à tous les dangers sur le champ de bataille, Louis XIV aimait la chasse autant que l’équitation, à tel point qu’il fut atteint de la goutte et d’une fistule anale (18 novembre 1686, qui nécessita une périlleuse opération). Le roi cultiva de réelles amitiés et se montra souvent généreux, d’une politesse à toute épreuve. S’il n’hésite pas à faire la guerre, il était le premier à s’activer pour la paix, avec un souci de sa gloire constant mais davantage par intérêt de l’Etat que par vanité ainsi qu’un souci du peuple qu’il fera tout pour ne pas laisser mourir de faim. Le Roi-soleil ne manqua pas une messe (qui était quotidienne) durant son règne. Il soignait son apparence, faisait de l’exercice, mais s’épaissit à partir des années 1680 car il mangeait trop (surtout dû à un vers solitaire que ses médecins ne purent lui ôter) ; il détestait par ailleurs le tabac. Son principal vice fut celui de trop aimer les jolies femmes. Et pourtant, il se rangea après la mort de la reine (1683), avec Mme de Maintenon, alors qu’il devenait également plus pieux. Enfin, il sut toujours choisir les hommes.

Le roi fit légitimer ses enfants naturels et leur donna progressivement des privilèges éminents. Il ne fut pas le premier roi de France à le faire : les Longueville, descendant de Charles V, ainsi que les Vendôme, descendant d’Henri IV, furent élevés à un rang presque analogue à celui de prince du sang. Or, le dernier Longueville-Orléans trépassa en février 1694, tandis que Louis-Joseph Vendôme, petit-fils de l’enfant légitimité, demanda à lui aussi être élevé à un rang presque égal aux princes du sang. Car une telle élévation n’était pas héréditaire. Vendôme fonda sa demande sur l’acte royal d’avril 1610 qui avait donné tel rang à son aïeul César Vendôme. Louis XIV rappela ainsi subtilement à la société qu’elle fut la politique de son grand-père. Le roi donna le même rang à ses enfants naturels : le duc du Maine et le comte de Toulouse.

Le hasard fit que les troubles climatiques touchèrent la seconde partie du règne de Louis XIV, à chaque fois en temps de guerre, et seulement après l’édit de Fontainebleau. Les protestants y virent un signe. Le roi faisait attention à ses colonies, à ce que les plus démunis ne soient pas écrasés par les plus aisés, mais aussi à ce que les Noirs soient traités avec humanité. Il n’admettait pas la justice expéditive à leur égard, les protégea – très imparfaitement, certes – avec le code noir (1685). Pourtant, il n’était pas exempt de tout reproche : l’ouverture d’hôpitaux généraux pour y enfermer les fous et les marginaux ou encore les dragonnades contre les protestants assombrissent le portrait.

Le règne de Louis XIV s’accompagna d’une meilleure connaissance du royaume par les données, notamment statistiques. La monarchie, devenant administrative, demanda à chaque province d’estimer ou répertorier sa démographie, son orographie, son climat, ses voies navigables, forêts, élevages, mines, son commerce, douanes, péages, gabelles de chaque lieu ou encore de décrire les métiers et talents de ses populations. À la fin du XVIIe siècle, les intendants des provinces rédigèrent des mémoires entiers sur ces questions. La précision de ces données permit au roi d’être mieux informé. Ce modèle de la voie française, acquit essentiel du règne de Louis XIV, fut reproduit par toutes les puissances européennes.

Louis XIV a mieux joué son rôle trifonctionnel que ses prédécesseurs et successeurs, a su tirer le maximum du système régissant le royaume, mais n’a pas su réformer le système pour en tirer bien plus, surtout le système fisco-financier. En créant une banque royale sur le modèle britannique ou hollandais, comme on lui proposa en 1707, la France aurait certainement décuplé sa puissance, bouleversant l’équilibre européen. Par ailleurs, si la France était le royaume le plus peuplé, c’est aussi pour cette raison qu’il était le plus riche. Mais le Grand Roi aurait pu imposer davantage. L’image du paysan français écrasé par les impôts nous vient d’une légende historiographique du XIXe siècle bâtie à partir des stéréotypes de la Révolution. En 1715, la pression fiscale pesant sur le paysan français valait 0,7 hectolitre de grain de froment ; quand il était de 1,62 outre-Manche. Le paysan britannique vivant sous la monarchie représentative et tempérée de Grande-Bretagne était 2.5 fois plus imposé en moyenne que son homologue français. La France était le pays le plus riche par la thésaurisation, mais son État aurait pu bénéficier de davantage de moyens.

Alors qu’agonisait le roi, trois coteries se préparaient : celle du duc du Maine, qui pensait le pouvoir acquis par le testament de Louis XIV ; celle de Philippe V, qui songeait à ravir la couronne au duc d’Orléans si le jeune hériter (malade) venait à mourir ; enfin celle de Philippe d’Orléans, la mieux préparée, la plus solide, bénéficiant du soutien d’une bonne partie de l’armée, du maréchal de Villars, ainsi que d’Antoine Crozat et son groupe financier, amenant les finances qui manquaient au parti espagnol. Dès le 2 septembre 1715, lendemain de la mort du roi, les parlementaires cassèrent le testament de Louis XIV et octroyèrent la pleine régence à Philippe d’Orléans, récupérant en échange leur droit de remontrance. C’était cher payer. Philippe se démena des années pour à nouveau priver le Parlement de ce droit par la suite (septembre 1718). Que de temps perdu.

Sources (texte) :

Petitfils, Jean-Christian (1995). Louis XIV. Paris : Tempus Perrin, 785p.

Oury, Clément (2020). La guerre de succession d’Espagne, la fin tragique du Grand Siècle. Paris : Tallandier, 528p.

Lynn, John A. (1999). Les guerres de Louis XIV. Londres : Tempus Perrin, 568p.

Bluche, François (1986). Louis XIV. Paris : Fayard, 1040p.

Sous la direction de Drévillon, Hervé et Wieviorka, Olivier (2021). Histoire militaire de la France. Des Mérovingiens au Second Empire. Paris : Tempus Perrin, 1182p.

Source (image) :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Mort_de_Louis_XIV (mort de Louis XIV)

Les commentaires sont clos.