Le règne de Louis XIV (partie XIII) : vers la guerre (1661-1667)
Rappel : Sous le règne de Louis XIV, la famille Le Tellier s’occupa d’améliorer l’armée, en plus d’en accroître les effectifs. Une hiérarchie claire, la fin de la vénalité des charges, l’établissement d’une intendance et de magasins, Le Tellier, son fils Louvois et son petit-fils Barbezieux modernisèrent largement l’armée française, malgré une adoption assez tardive du fusil. Pour ses guerres, Louis XIV mobilisa 72 000 hommes en 1667, 120 000 en 1672, 280 000 en 1678 puis 380 000 pendant la guerre de Succession d’Espagne, bien que ces effectifs soient sûrement quelque peu surévalués parce que les unités n’étaient jamais au complet. Pourtant, l’armée de Louis XIV ne fut pas parfaite (un service de santé défaillant, la persistance du recrutement frauduleux, du pillage et des désertions). Les fortifications furent d’abord partagées entre Colbert et Louvois. Mais celui qui dota la France de sa « ceinture de fer » fut l’ingénieur Vauban, expert en poliorcétique qui porta les fortifications françaises à un haut degré de sophistication et devint un proche du roi. La Marine ne fut pas en reste. Entretenue par Richelieu mais abandonnée par Mazarin, Colbert et son fils Seigneley eurent la lourde tâche de relevé la Royale. Ils dotèrent la France, en quelques décennies seulement, de nombreuses infrastructures navales et de la première flotte du monde. D’une dizaine de navires de guerre en 1661, la France passa à 194 bâtiments en 1671. Mais tout ceci coûtait cher à l’Etat, particulièrement en temps de guerre. En 1683, année de paix armée, sur les 115 millions de livres de dépenses, 65,28 millions allèrent aux dépenses militaires (56,7%), 80% en 1692, puis 50% en 1697, année de la paix de Ryswick. Avec la guerre de Succession d’Espagne, les dépenses militaires atteignirent 71% dès 1702. De la même manière, la dette financière passa de 8% en 1694 à 23% en 1695 puis à 76% en 1699. La France, contrairement aux Provinces-Unies en 1609 et l’Angleterre en 1694, ne disposait pas d’une banque nationale rendant l’endettement peu coûteux. La France de Louis XIV n’était pas encore une monarchie administrative capable de faire face à une guerre longue sans endettement excessif, mais une monarchie militaire qui put survivre par ses investissements militaires (construction de la ceinture de fer, de ports, d’une flotte, politique d’armement donnant des emplois, etc.).
À l’heure de la paix en 1661, pour consolider ses frontières, la France devait achever la conquête de l’Artois et de la Flandre puis occuper les Pays-Bas espagnols et la Franche-Comté. Or, la dot de la reine de France n’ayant jamais été payée par l’Espagne et le roi espagnol Philippe IV étant à l’article de la mort, le roi de France avait une certaine légitimité à demander un héritage. Outre Marie-Thérèse, Philippe IV d’Espagne avait une seule autre fille, Marguerite-Thérèse, née d’un second lit, et un fils, Philippe Prosper, né en 1657 mais de santé fragile. La France présenta les nombreux manquements au traité des Pyrénées de la part des Espagnols, mais ceux-ci rejetèrent les arguments. Le 1er novembre 1657, alors que naissait le dauphin en France, Philippe Prosper mourrait. Cependant, le 6 novembre, Marie-Anne accoucha d’un second fils, don Carlos, pas plus robuste que le premier. Les Espagnols refusant tout accord, Louis XIV rompit les négociations et prépara ses alliances pour agir au décès de son beau-père.
En mars 1661, il se rapprocha de l’Angleterre ; le mariage d’Henriette d’Angleterre avec Philippe d’Orléans, son frère, améliora les relations. Les Français désiraient Dunkerque et Charles II avait besoin d’argent. Celui-ci proposa alors à son cousin le roi de France de lui vendre la ville pour 5 millions de livres le 27 octobre 1662. L’opinion anglaise étant francophobe, les bonnes relations ne débouchèrent pas sur une alliance. Les deux pays s’entendirent cependant pour envoyer au Portugal 4 000 volontaires, commandés par un Français, le maréchal de Schomberg, afin de fixer les troupes espagnoles, qui furent par ailleurs vaincues à Villaviciosa en août 1665 dans le cadre de la longue guerre hispano-portugaise, dite de Restauration (1640-1668), visant à atteindre l’indépendance portugaise. Pour garder Vienne éloignée de Madrid, Louis XIV renouvela un traité de subsides avec la Suède en septembre 1661. La France entra également en contact avec les « Malcontents » de Hongrie. Enfin, la reine Louise Marie de Gonzague, pourtant l’épouse du suédo-polonais Jean II Casimir Vasa (roi de Pologne de 1648 à 1668), tenta de faire élire un prince français sur le trône polonais, qu’importe son mari. Le prétendant principal fut Henri Jules, duc d’Enghien, fils du Grand Condé. Le projet, soutenu par Louis XIV, fut finalement abandonné.
Depuis les traités de Westphalie, l’Alsace était constituée de seigneuries, abbayes, villes libres, principautés ecclésiastiques ou laïques dans un fouillis féodal inextricable. Si Mulhouse et Strasbourg étaient indépendantes, le landgraviat de Haute-Alsace et les dix villes impériales (ou décapole) de la « préfecture provinciale » avaient été abandonnées par l’Autriche à la France par « droit de suprême domaine » (article 75) tout en gardant un lien d’« immédiateté envers l’Empire romain » (article 89). Les rédacteurs des traités de Westphalie s’étaient visiblement gardés de trancher, préférant laisser une ambiguïté que chaque camp pouvait interpréter comme bon lui semblait. Les Alsaciens en profitèrent pour être libres. Louis XIV voulut organiser un voyage en Alsace pour imposer son autorité. Encouragé par Colbert mais dissuadé par Lionne, il renonça en 1661, du moins le repoussa à 1673. À l’occasion de ce voyage, il fit démanteler les fortifications de Colmar et y entra en vainqueur.
Le roi fut moins patient avec les Lorrains. Avec les traités de Westphalie, Mazarin n’avait obtenu que la reconnaissance de la souveraineté française sur les Trois-Évêchés déjà intégrés au royaume. Pour les Impériaux, le reste de la Lorraine, dite Lorraine ducale, était germanique et devait revenir à l’Empire en cas de déshérence du duché. En 1633, la réputation de Charles IV, duc de Lorraine, était ruinée, lui qui avait abdiqué puis renoncé à son abdication. Il avait été écarté des traités de Westphalie et emprisonné en Espagne ; le traité des Pyrénées (1659) lui avait rendu un duché amputé et il avait courtisé Louis XIV pour obtenir, le 28 février 1661, le traité de Vincennes lui rendant le duché du Bar, sous réserve de vassalité à la France. Le 22 mars, il prêta hommage-lige à Louis XIV pour le Bar. Son duché était coupé en deux, Nancy n’avait plus de fortifications et la France trop besoin de ce territoire pour rejoindre la frontière à l’Est. Alors Charles IV flatta Louis XIV et convint le 6 février 1662, par le traité de Montmartre, de lui céder le duché à sa mort, lésant ainsi son neveu et héritier qu’il détestait. Moyennant une pension annuelle de 700 000 livres, Charles IV accepta de céder Marsal et de donner la Lorraine en viager au roi de France à deux conditions : que le neveu et le frère de Charles IV gagnent le droit d’accéder au trône de France en cas d’extinction de la branche des Bourbon ; et que le traité soit entériné par le Parlement de Paris. Si Louis XIV fut enchanté par ce traité, il n’en alla pas de même pour la haute aristocratie française, pour les seigneurs lorrains que cette sujétion n’enthousiasmait pas ou encore pour le Saint Empire romain germanique. Or, le Parlement de Paris exigea que le traité soit ratifié par tous les princes de Lorraine. Le refus de Lorraine-Vaudémont fit échouer la transaction. Alors, Charles IV nomma son neveu comme héritier et demanda l’aide du Saint Empire. Le roi de France ordonna qu’on lui remette tout de même Marsal, la place de Lorraine la plus puissante. Sous la menace, Charles IV s’exécuta. Comme Henri II, Henri IV et Louis XIII, Louis XIV occupa Marsal, le 17 août. Le 3 septembre 1662, Charles IV signa un nouveau traité pour donner Marsal à la France.
En avril 1664, Louis XIV décida de porter assistance à l’archevêque-électeur de Mayence qui avait demandé de l’aide pour mater la rébellion de la ville protestante d’Erfurt. La France envoya 6 000 hommes. Le calme fut rétabli. Il n’était pas courant de voir une puissance étrangère ainsi intervenir dans les affaires de l’Empire. La Suède s’en inquiéta et se rapprocha de l’Angleterre et de l’Empereur. La guerre austro-ottomane généra de nouvelles tensions : Louis XIV offrit d’aider à la libération des terres autrichiennes envahies par les Ottomans en 1663 ; l’empereur Léopold refusa. Seulement, la situation s’aggrava lorsque les armées du grand vizir Ahmed Pacha, parties de Belgrade et fortes de 120 000 hommes, avancèrent en Hongrie royale. La résistance d’Ersékujvar (Nové Zamky en Slovaquie) permit au général impérial Montecuccoli de préparer la défense de Presbourg. Soudain, 20 000 Cosaques et 10 000 Tatars, alliés des Turcs, dévastèrent la Moravie et la Silésie. Affolé, Léopold lança un appel à la chrétienté. La France, dont nombre de clients dans l’Empire voyaient leurs intérêts menacés, devait intervenir pour soutenir la Ligue du Rhin. Car si la Suède l’avait quittée, l’électeur du Brandebourg (Frédéric-Guillaume), le roi du Danemark (Frédéric III) et l’électeur de Saxe (Jean-Georges II) l’avaient rejointe.
Excepté l’électeur du palatin et son allié dynastique l’électeur de Bavière, toute l’Allemagne était influencée par la France. Louis XIV voulut montrer, par la croisade de Léopold, qu’il était au moins l’égal de l’Empereur. Il insista et envoya un corps de 6 000 hommes. Le 1er août 1663, les trois armées (de l’Empereur, de l’Empire et de la Ligue du Rhin) convergèrent et, sous la direction de Montecuccoli, écrasèrent les Ottomans – pourtant très supérieurs en nombre – sur la rivière Raab (bataille de Saint-Gothard). Or, la victoire fut acquise grâce à la combativité du corps français et de ses alliés rhénans, alors que les Impériaux avaient manqué de partir en déroute durant la bataille. Léopold ne sut exploiter cette victoire : il se hâta de signer la trêve de 20 ans de Vasvar, reconnaissant aux vaincus des territoires conquis. Après la bataille, le contingent français fut maltraité, coupé de vivres, forçant son chef, Coligny-Saligny, à reconduire les hommes en France. Les Allemands, craignant après la Lorraine et Erfurt que la France ne souhaite s’étendre au-delà du Rhin, n’avaient plus confiance en Louis XIV. En 1667, la Ligue du Rhin, venue à échéance, ne fut pas reconduite.
De son temps, Mazarin était resté amer envers les Provinces-Unies d’avoir signé une paix séparée avec l’Espagne en 1648. Les Hollandais, vaincus par l’Angleterre de Cromwell, firent le premier pas vers la France en 1661, suite à la restauration des Stuart sur le trône anglais. Jean de Witt, Grand Pensionnaire, ainsi que les États Généraux, l’organe fédéral suprême, craignaient Charles II d’Angleterre, oncle de Guillaume, prince d’Orange-Nassau dont la famille avait été écartée du pouvoir aux Provinces-Unies par les patriciens républicains néerlandais. Alors fut signé un traité franco-néerlandais d’alliance mutuelle garantie le 27 avril 1662, censé durer 25 ans. Pour autant, Français et Hollandais ne s’étaient pas entendus sur leur principale pomme de discorde : les Pays-Bas espagnols. Les discussions s’éternisèrent et Louis XIV, excédé, y mit fin en 1664.
Concomitamment, la guerre s’était rallumée entre Londres et Amsterdam pour la maîtrise du commerce (notamment négrier) et la souveraineté de quelques îles. Les combats, en Afrique et Amérique, donnèrent à Charles II l’île de Gorée, les îles de Tabago[1] et Saint-Eustache ainsi que Nieuw Amsterdam, devenue New York. Les Provinces-Unies envoyèrent l’amiral Ruyter récupérer les terres alors que les Anglais payaient l’évêque de Munster, Bernard von Galen, pour qu’il attaque l’arrière des Provinces-Unies. En décembre 1664, Jean de Witt rappela au roi de France ses engagements. Louis XIV, attaché à l’honneur de sa parole, ne souhaitait pourtant pas faire la guerre à l’Angleterre dont il espérait au moins la neutralité bienveillante lors de la succession de Philippe IV. Alors, Louis XIV tenta une médiation qui mécontenta tout le monde. La mort de Philippe IV en 1665 précipita les événements. Louis XIV opta pour une intervention du côté hollandais, pour montrer qu’il tenait parole. Il envoya 6 000 soldats sur le Rhin. Leur simple présence fit fuir les pillards de von Galen. Louis XIV déclara alors la guerre à l’Angleterre le 26 janvier 1666 et promit 120 000 écus au roi Frédéric III du Danemark pour qu’il bloque la Baltique au navires anglais. L’amiral Ruyter triompha des Anglais sur mer en juin 1666 mais fut battu lors de la bataille du Texel début août. Amsterdam reprocha alors à Paris de préserver sa flotte naissante. Les tensions entre les alliés se faisaient sérieuses. Mais la guerre avait déjà épuisé les belligérants : Charles II n’avait plus d’argent et Londres venait de subir la peste et le grand incendie de 1666. La Suède joua les médiatrices, permettant l’ouverture de négociations.
[1] Ancien nom français de l’île de Tobago (jusqu’au XIXe siècle).
Les discussions allaient bon train à Bréda mais la paix ne trouvait pas son chemin. Or, la guerre anglo-hollandaise (juin 1665 – juillet 1667) était opportune pour Louis XIV car elle occupait deux puissances tandis que l’enjeu géopolitique se trouvait ailleurs pour le roi de France. En septembre 1665, Le roi d’Espagne venait de mourir.
Sources (texte) :
Petitfils, Jean-Christian (1995). Louis XIV. Paris : Tempus Perrin, 785p.
Bluche, François (1986). Louis XIV. Paris : Fayard, 1040p.
Lynn, John A. (1999). Les guerres de Louis XIV. Londres : Tempus Perrin, 568p.
Sources (images) :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Henriette_d%27Angleterre (Henriette d’Angleterre)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_II_Casimir_Vasa (Jean II Casimir Vasa)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Saint-Gothard (bataille de Saint-Gothard)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Michiel_de_Ruyter (amiral Rutyer)