Le règne de Louis XIV (partie XXXI) : la veillée des armes (1701)
Rappel : dès la fin de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, les puissances européennes firent des tractations pour anticiper la mort, sans hériter, de Charles II Habsbourg, roi d’Espagne. Le fils de Louis XIV avait la meilleure légitimité, du fait de sa mère et de sa grand-mère ; mais l’archiduc d’Autriche disposait lui aussi de solides arguments. Le Roi-Soleil joua la raison, demandant seulement quelques terres italiennes pour son fils ; tandis que l’empereur d’Autriche exigeait tout l’héritage. Si les puissances s’entendirent finalement sur un jeune garçon né en Bavière, celui-ci succomba à la variole en 1699. De retour au point de départ, Louis XIV se rapprocha de l’Angleterre et des Provinces-Unies qui, il le savait, ne pourraient accepter de voir la France ou l’Autriche prendre l’entier héritage espagnol. C’est alors que le principal concerné, le roi d’Espagne, non consulté, donna la totalité de son empire en héritage à Philippe, le petit-fils de Louis XIV, juste avant de mourir en novembre 1700. Le testament avait de quoi surprendre : Charles II, un Habsbourg d’Espagne, préférait faire hériter un Bourbon, dynastie qu’il n’avait eu de cesse d’affronter, plutôt qu’un Habsbourg d’Autriche. C’est que Charles II le savait, seule la France pouvait soutenir une guerre contre toute l’Europe et maintenir l’intégrité du territoire espagnol. Or, il ne voulait pas que son empire soit dépecé. Partant, à défaut d’être dynastique, le choix était logique et relevait de l’intérêt national. Charles II avait néanmoins choisi le second petit-fils de Louis-XIV, pour éviter un rassemblement des deux couronnes. Louis XIV accepta le testament et Torcy justifia si bien ce choix que les nations européennes étaient prêtes à l’entériner sans guerre. Mais le roi de France commit plusieurs erreurs : il clama le maintient de Philippe dans la succession à la couronne de France, fit occuper la « Barrière » des Pays-Bas espagnols, en chassant les garnisons hollandaises, poussa son petit-fils à lui accorder de suite l’asentio (droit de commercer des esclaves avec l’Empire espagnol), lésant les marchands anglais, avant de reconnaître comme légitime roi d’Angleterre le fils du prétendant Jacques II, qui venait de décéder (septembre 1701), au détriment de Guillaume III. La première et la dernière erreur étaient le fait d’un respect inconditionnel de Louis XIV en les lois de succession divinement sanctionnées. Ces erreurs n’en déclenchèrent pas moins la dernière guerre de son règne : celle de la Succession d’Espagne.
Louis XIV se voulait le protecteur des Etats allemand au début de son règne, héritant de la Ligue du Rhin, façonnée par des deux ministres-cardinaux. Mais ses ambitions, la politique des Réunions menaçant les petits seigneurs et sa politique religieuse pro-catholique changèrent drastiquement les choses. Louis XIV attaqua la Hollande et l’Angleterre protestantes, révoqua l’édit de Nantes, soutint les catholiques anglais… La politique pro-protestante engagée par Richelieu n’était plus. Louis XIV déposséda notamment à nouveau Charles IV de Lorraine de son territoire (1702-1714). Celui-ci trouva refuge à Vienne où se constitua un parti allemand sous la protection habile de Léopold Ier, qui abandonna son image de catholique pour adopter une posture plus flexible. Il était également le champion de la chrétienté, seul rempart contre les Ottomans, alors que Louis XIV ne faisait rien contre la Sublime Porte, voire était accusé de la soutenir en secret.

Frédéric III, Electeur de Brandebourg, se vit offrir par l’Empereur, qui désirait l’entraîner dans la guerre, le titre de roi de Prusse en 1701. Ce titre légitimera plus tard l’élévation du roi de Prusse au rang d’égal de l’empereur et justifiera la confrontation austro-prussienne par la dualité allemande. Léopold parvint également à obtenir l’entrée en guerre de George-Louis de Hanovre, devenu Electeur selon la volonté de l’Empereur en 1692 et qui, étant arrière-petit-fils de Jacques Ier et protestant, avait vu ses chances d’accéder au trône d’Angleterre significativement augmenter avec l’Act of settlement en 1701.
Guillaume III, en fin de vie, mettait ses dernières énergies à pousser l’Angleterre vers la guerre. Les marchands londoniens se rangèrent à son avis, comprenant le danger que représentait une France avec le droit d’asentio, commercialement parlant. Le Parlement, mené par les tories, était réticent à suivre des Provinces-Unies devenues va-t-en-guerre depuis l’affaire des Barrières. En février 1701, Guillaume III, à qui feu son épouse Mary Stuart (morte en 1694, à 32 ans) n’avait donné aucun enfant, réussit au moins à faire accepter à son Parlement son Act of settlement. Cette loi écartait tout catholique de la succession, lésant 57 princes et princesses. Il était temps, car Guillaume III expira le 19 mars 1702. Le choix de la succession directe se porta alors naturellement sur Anne Stuart, sœur puînée de Mary. Ces deux sœurs, filles du prétendant catholique au trône en exil, Jacques II, étaient, elles, bien protestantes. Anne Stuart, 36 ans était l’épouse du roi du Danemark mais tous ses enfants étaient morts. Alors, après elle viendrait Sophie de Hanovre, 71 ans, fille de l’Électeur du Hanovre, descendante de Jacques Ier par sa mère, épouse de l’Electeur de Brandebourg (devenu roi de Prusse en 1701) ; enfin venait le fils de cette dernière, Georg-Ludwig, le fameux Électeur George-Louis évoqué juste au-dessus. Finalement, Sophie décédera en 1714 à 83 ans, deux mois avant Anne Stuart, 49 ans (qui, du reste, aurait voulu donner la couronne à son frère Jacques III mais fut empêchée par l’Act of settlement, l’opinion publique montée à bloc et le Parlement belliciste). George-Louis montera donc sur le trône de Grande-Bretagne après Anne. Mais gardons-nous d’aller trop vite. En avril 1701, les ministres de Guillaume III le forcèrent tout de même à reconnaître Philippe V d’Espagne. Mais les cris du cœur des Provinces-Unies finirent par influencer l’opinion publique anglaise et la reconnaissance de Jacques III comme roi d’Angleterre par Louis XIV à la mort de Jacques II (décédé le 16 septembre 1701), acheva de la convaincre. Louis XIV n’avait alors pas connaissance du traité anglo-hollandais de La Haye (7 septembre). Mais cette troisième erreur du roi de France apparaissait en vérité à bien des égards comme une réponse à une guerre froide : l’Europe tendant à l’alliance, l’Angleterre ayant voté de larges crédits pour préparer la guerre et Guillaume III ayant provoqué de nouvelles élections menant une majorité whig belliciste et antifrançaise au Parlement anglais (qui vota des crédits supplémentaires).
Les « Deux-Couronnes », comme on nommait à l’époque la France et l’Espagne, disposaient de bien peu d’alliés. Le bloc central des Bourbon était allié aux frères Wittelsbach, électeurs de Bavière (Maximilien-Emmanuel) et de Cologne (Joseph-Clément). Ceux-ci mettaient leur troupes et ressources à disposition en échange de subsides annuels versés par la France : respectivement 400 000 et 75 000 livres. Les alliances semblaient jeter l’Empereur dans le camp des protestants (Angleterre, Provinces-Unies, Brandebourg, Danemark, Hanovre, le huguenots) tandis que Louis XIV se faisait champion catholiques (Espagne, Portugal, Savoie, Bavière, Cologne). Du reste, l’électeur de Bavière était un allié qu’on savait peu fiable. Il avait fallu lui promettre le titre de roi, la lieutenance héréditaire des Pays-Bas espagnols, le Palatinat rhénan et une aide française aux prochaines élections impériales.
La position bavaroise était spéciale : l’électeur voyait autour de lui les autres princes allemand s’élever : Auguste de Saxe était devenu roi de Pologne, George de Hanovre était destiné au trône d’Angleterre et Fréderic III du Brandebourg était devenu Fréderic Ier, roi de Prusse. Maximilien-Emmanuel avait cru tenir sa chance lorsque la France et l’Autriche s’étaient entendues en 1698 pour faire de son fils le roi d’Espagne. Mais cet espoir était mort avec son fils, en 1699. Louis XIV avait bien essayé de s’allier avec les princes de Saxe-Gotha et de Wolfenbüttel, au nord des terres allemandes et jaloux du Hanovre ayant obtenu la création d’un neuvième électorat. Mais ceux-ci conditionnèrent l’alliance au soutien de la Saxe, dont l’Electeur était également roi de Pologne. Auguste de Saxe, entouré de territoires alliés, joua la prudence et s’engagea dans le camp opposé à la France en 1702, selon un traité l’engageant à fournir 8 000 hommes contre 200 000 écus versés par l’Autriche. C’est que, juste avant la guerre de Succession d’Espagne (1701-1713) avait débuté la Grande guerre du Nord (février 1700 – 1721) par laquelle la Suède de Charles XII affrontait le Danemark, la Pologne et la Saxe d’Auguste II ainsi que la Russie de Pierre le Grand.
Pourtant, les Bourbon semblaient bénéficier d’une situation stratégique plus favorable. La France se trouvait en position centrale et pouvait protéger toutes les terres espagnoles qui, elles formaient un glacis protecteur pour la France, tandis que les Alliés étaient excentrés. Les Bourbon étaient également sur la défensive, charge aux Alliés de conquérir le territoire. Cependant, la centralisation des décisions et l’adoption de la stratégie de cabinet (les décisions militaires étant prises par le roi) allait brider des généraux français et grever la rapidité d’exécution. Pire, contrairement aux guerres précédentes, les troupes françaises ne pouvant plus mettre à contribution les terres espagnoles, il devenait plus compliqué de faire supporter le poids de la guerre à ses ennemis. Ainsi, les Français ne purent prélever que 10% des sommes engagées pour couvrir les dépenses de la guerre, alors que ce pourcentage était nettement plus élevé durant les guerres précédentes. Quand ils le pouvaient, les divers intermédiaires nécessaires appliquaient des taux de changes et des commissions de l’ordre de 20 à 30% en terres étrangères. Sans compter que les alliés de Louis XIV coûtaient cher à la France, que ce soit la monarchie espagnole, notoirement impécunieuse, ou les alliés allemands. Là où la guerre de la Ligue d’Augsbourg coûta, sur son année la plus dispendieuse, 89 millions de livres à la France, celle de Succession d’Espagne coûta chaque année au minimum cette même somme. En 1707, les dépenses françaises atteignirent un sommet à 148 millions de livres. En comparaison, les recettes ne suivirent pas, bien que la traditionnelle taille, par ailleurs grevée par de nombreuses exemptions, soit accompagnée de la capitation, un impôt direct créé en 1695 taxant davantage les classes plus aisées. Alors, l’Etat français se tourna vers l’emprunt, au travers d’émissions d’obligations. Les investisseurs furent de plus en plus tardivement remboursés à mesure que la guerre prenait une tournure défavorable à Versailles, amenant les prêteurs à acheter les obligations étatiques en deçà de leur valeur nominale car ils prenaient le risque d’accepter du papier. Le système tint bon jusqu’à la fin de la guerre. La dette française s’internationalisa et, ironie de l’histoire, les huguenots à Genève ou aux Provinces-Unies devinrent de grands financiers de la France en guerre. Toutefois, à la fin de la guerre, l’Etat français traînait une dette de 1.8 à 2.4 milliards de livres, soit 35 à 45 fois le revenu annuel net du royaume.
Parallèlement, l’Angleterre, principal ennemi de la France, connaissait un boom économique. L’expansion industrielle du début du XVIIIe siècle fut en partie alimentée par les guerres : non seulement celle de Succession d’Espagne, mais aussi la Grande Guerre du Nord. Les Anglais vendaient massivement du textile pour habiller les soldats et le grain pour les nourrir. L’industrie des îles britanniques bénéficiait du ravage de leur concurrence sur ces deux marchés clefs (les Provinces-Unies pour la laine, la Pologne pour le grain). En sus, le traité de Methuen ouvrit aux marchands anglais le marché des colonies portugaises, dont le Brésil, qui avait besoin de textile britannique que les mines d’or de Minas Gerais, découvertes à la fin du XVIIe siècle, permettaient amplement acheter. Le système fiscal anglais était unifié et centralisé, associant droit de douane indirect (l’excise) et un impôt foncier universel ne comptant pas d’exemption : la Land Tax. Enfin, le peuple anglais opposait peu de résistance à l’impôt, contrairement au peuple français. Cela permit à l’Angleterre d’augmenter son imposition de 3.5% dans les années 1670 à 9% à la fin de la guerre de Succession d’Espagne. L’Ecosse et les colonies d’Amérique étaient cependant plus réfractaires aux impôts. Pour couronner le tout, l’Angleterre disposait de la Bank of England depuis 1694, fondée grâce aux innovations politiques et juridiques de la Glorieuse Révolution. Décidée par le Parlement mais reposant sur des fonds privés, celle-ci permettait à l’Etat d’émettre des billets de banque, limitant la monnaie métallique, et d’emprunter à des taux ne dépassant pas les 5 à 6%, là où la France empruntait à 8 à 10%, voire plus. Les Provinces-Unies disposaient, elles aussi et depuis plus longtemps, de la banque d’Amsterdam leur octroyant les mêmes avantages.
L’Autriche, enfin, s’était démographiquement redressée de la guerre de Trente Ans en une génération et connaissait, depuis la fin du siège de Vienne par les Ottomans en 1683, un indéniable essor économique lui permettant de reconstruire les pays héréditaires, de reconquérir la Hongrie et d’industrialiser les pays tchèques. Le régime autrichien tripla ses ressources entre 1670 et 1700, permettant à Leopold Ier de garder ses troupes mobilisées malgré la fin du conflit avec les Ottomans en 1699, en prévision d’une guerre contre la France.
La France alignait environ 255 000 hommes (effectifs réels) et sa démographie, la première d’Europe, ne fut que peu impactée par la guerre : le pays comptant 21.5 millions d’habitants en 1702 et 22.6 millions en 1720. Les officiers payaient le tiers ou les deux tiers des charges pour leurs unités et étaient remboursés (parfois en partie seulement) ensuite. Cette pratique, qui avait cours dans toutes les grandes puissances européennes, perdura jusqu’en 1807 en Prusse, 1868 en Autriche et 1871 au Royaume-Uni. Toutes les puissances oscillaient entre volontariat (plus ou moins forcé) et conscription (la milice devenant graduellement un volontariat obligatoire en France, à partir de la guerre de Succession d’Espagne). Un système plus efficacement organisé et une démographie avantageuse permirent à la France d’aligner à elle seule autant d’hommes que plusieurs puissances européennes réunies, sur plusieurs guerres. Les Impériaux fournissaient l’effort numérique le plus important côté alliés, avec 129 000 hommes. Ils furent renforcés par l’« armée des Cercles » venant des diverses terres de l’Empire. Les Anglais alignèrent quant à eux 30 000 « subjects troops » en 1702, 50 000 en 1706, 75 000 en 1711. Cette augmentation des effectifs s’expliquait par un Parlement qui n’acceptait pas d’avoir une large armée en temps de paix et, conséquemment, le temps nécessaire pour recruter. Londres paya donc en majorité des soldats étrangers : sur 170 000 Britanniques sur les différents fronts, il y eut 58 000 Britanniques et 114 000 étrangers. Londres paya également ses alliés : 150 000 livres par an pour le Portugal, entre 150 000 et 300 000 livres par an pour la Savoie. Les Anglais et les Hollandais alimentaient par leur crédit les Alliés. Ainsi les Anglais accordèrent un prêt de 250 000 livres aux Impériaux, avec cependant un taux d’intérêt de 8% et une hypothèque sur la Silésie. Les Hollandais entretinrent dès 1702 une armée de 110 000 hommes, ce qui était considérable pour un pays de 2 millions d’habitants. Surtout qu’ils fournissaient le ravitaillement de l’ensemble des forces alliées aux Pays-Bas espagnols, le matériel de siège et les ingénieurs nécessaires (dont manquait l’Angleterre). C’était là le plus grand effort militaire des Provinces-Unies sur la période moderne.
L’Espagne, elle, était en ruines. Les Français voulaient y installer Philippe V mais pas diriger le pays, encore moins le défendre seuls. Or, l’éclatement de l’administration y était préoccupant. Les Pays-Bas espagnols et les terres italiennes, évoluaient sous la férule de vice-rois espagnols très autonomes, tandis que la Catalogne, Valence ou encore le « royaume » d’Aragon bénéficiaient d’un traitement particulier et d’une autonomie, là aussi, très poussée. On appelait ces provinces des fueros (provinces bénéficiant de libertés constitutionnelles). Les recettes fiscales de ces régions ne servaient qu’à les entretenir, rien ne rentrait dans le Trésor espagnol. Les seuls revenus du royaume de Castille devaient supporter toutes les dépenses de la monarchie dont la majorité était engagée pour défendre… les périphéries très autonomes : les fueros. Les Castillans avaient songé à limiter les libertés de ces provinces, surtout après les soulèvements de l’Aragon en 1591 et 1640, en vain. Les Amériques rapportaient quelques revenus mais le commerce, qui avait cessé d’être florissant, tombait lui aussi en ruines. Le commerce en droiture se matérialisait par deux escadres, chaque année, qui ralliaient Verracruz au Mexique et Carthagène des Indes en Colombie (un commerce existait également entre les Philippines et le Mexique : le « galion de Manille »). En réalité, le commerce interlope, c’est-à-dire celui contournant la loi et la fiscalité, permettait aux colonies espagnoles d’échanger avec les Français, Anglais et Hollandais et profitait aux vice-rois et Grands d’Espagne, de ce fait peu enclins à stopper l’hémorragie. En 1600, le commerce en droiture transportait 19 800 tonneaux. En 1680, il ne transportait plus que 4 650 tonneaux. L’Espagne était également dénuée d’armée. Elle ne pouvait mobiliser que 20 000 hommes : 8 000 aux Pays-Bas espagnols, 6 000 à Milan, 500 en Sicile, 200 en Sardaigne et 6 000 vétérans pour défendre la péninsule ibérique, surtout basés en Catalogne et, dans une moindre mesure, à Cadix, pour protéger le commerce. Les Espagnols n’avaient plus l’habitude de la guerre, ne s’étaient pas battus en Espagne depuis des années et disposaient d’un ravitaillement local déplorable. Pour autant, grâce aux officiers français, l’armée espagnole devint, sur terre, une force d’appoint non négligeable à partir de 1707-1708.
Le gouvernement espagnol passa rapidement sous tutelle française avec l’entrée des ambassadeurs de France successifs au despacho (semblable au Conseil d’en haut français). Jean Orry, de modeste extraction, dirigea les finances et les réformes militaires en Espagne durant tout le conflit (sauf en 1704). Il mena des réformes sur le modèle français qui relevèrent le pays. Orry disposait également du soutien de Marie-Anne de La Trémoille, la princesse des Ursins, placée là par Mme de Maintenon. Ursin devint la camarera mayor, ayant pour rôle de seconder et conseiller le jeune roi et ayant de fait une grande influence sur lui. Bien que nécessitant, toute la guerre durant, le soutien français (comme le montrera l’année 1709), l’armée espagnole fut entièrement remaniée et se releva progressivement. Comme pour l’armée de terre, des Français furent nommés à des grands postes de la marine espagnole pour favoriser la coopération. C’est que les Espagnols ne disposaient que d’une vingtaine de navires pour protéger tout l’Empire ! En Espagne, le comte d’Estrées devint ainsi « lieutenant général des mers », Châteaurenault « capitaine général des armées navales », Ducasse « capitaine général de la mer des Indes » et le comte de Toulouse, déjà amiral de France, devint « grand amiral des vaisseaux et galères d’Espagne » en 1702. Ducasse, en particulier, se distingua en protégeant les convois espagnols transitant entre les Amériques et la métropole, bien que trois des six convois entre 1702 et 1712 fussent partiellement détruits. Les convois rapportèrent tout de même 15% du revenu de la monarchie durant la guerre. Ducasse, d’origine modeste et huguenote, se vit attribuer la Toison d’or en 1712 par Philippe V. Pourtant, le zèle français à reconstituer la flotte espagnole ne fut pas le même que celui accompagnant le redressement de l’armée de terre. C’est que les Français préférèrent garder un avantage substantiel sur mer et profiter du commerce espagnol. En fin de compte, les Français gagnèrent bien plus par le commerce interlope que par celui en droiture. Les excursions des Malouins en Amérique du Sud pour échanger des biens de haute valeur ajoutée contre l’argent de Potosi duraient environ trois ans mais permettaient un retour sur investissement (50 millions de livres dépensés environ) de 130 à 300%.
Sources (texte) :
Petitfils, Jean-Christian (1995). Louis XIV. Paris : Tempus Perrin, 785p.
Oury, Clément (2020). La guerre de succession d’Espagne, la fin tragique du Grand Siècle. Paris : Tallandier, 528p.
Lynn, John A. (1999). Les guerres de Louis XIV. Londres : Tempus Perrin, 568p.
Bluche, François (1986). Louis XIV. Paris : Fayard, 1040p.
Sous la direction de Drévillon, Hervé et Wieviorka, Olivier (2021). Histoire militaire de la France. Des Mérovingiens au Second Empire. Paris : Tempus Perrin, 1182p.