Le règne de Louis XIV (partie XXIV) : enjeux géopolitiques et « Glorious Revolution », les préludes à la guerre (1685-1688)

Le règne de Louis XIV (partie XXIV) : enjeux géopolitiques et « Glorious Revolution », les préludes à la guerre (1685-1688)

Rappel : Déjà diminuées en 1629 par Louis XIII et Richelieu, les forces vives du protestantisme en France furent frappées de restrictions de plus en plus sévères sous le règne de Louis XIV, en particulier après la fin de la paix de l’Eglise (1668-1680). Fort du traité de Nimègue (1679) et confronté au pape Innocent XI, le Roi-Soleil préféra donner des gages à l’Eglise gallicane en entamant une politique antiprotestante virulente : aux multiples actes royaux coercitifs entre 1680 et 1685 s’adjoignirent les dragonnades (l’obligation pour les protestants de loger la soldatesque qui pillait et rudoyait ses hôtes). En somme, le protestantisme étant déjà à bout de souffle, il n’était nullement nécessaire de révoquer l’édit de Nantes. Pourtant, l’Eglise, Le Tellier, Louvois et d’autres poussèrent le roi à le faire. Perçu aujourd’hui comme l’une des erreurs du règne de Louis XIV, la révocation provoqua certes la fuite de quelque 200 000 protestants (1% de la population française), véritable fuite de cerveaux. Mais les effets positifs ne sont pas à sous-estimer pour autant : la décision du roi fut célébrée par la vaste majorité des Français et des coreligionnaires catholiques, garantissant la fidélité du peuple et du clergé dans les deux épuisantes, onéreuses et peu glorieuses dernières guerres du règne de Louis XIV.

Les années séparant les réunions de la guerre de Neuf Ans, dite guerre d’Augsbourg, furent turbulentes. Léopold Ier refusait encore et toujours de faire de la trêve de Ratisbonne une paix pérenne. Il n’attendait que d’avoir écrasé les Ottomans et la révolte hongroise pour se retourner vers le Rhin. La révocation de l’édit de Nantes renforça l’exaspération envers Louis XIV en Europe et pas seulement dans les pays protestants. La France inquiétait toutes les puissances. Cet isolement progressif alla jusqu’à miner les plus fortes alliances de la France. Il faut dire que certains alliés étaient traités en vassaux, telle la Savoie. Le jeune Victor-Amédée, marié à Anne Marie d’Orléans, fille de Monsieur et Henriette d’Angleterre, donc nièce de Louis XIV, était traité avec hauteur. En octobre 1684, alors âgé de 18 ans, le duc se vit interdire par le roi de France, craignant quelque intrigue, d’aller se divertir à Venise. Un peu plus tard, Victor-Amédée accueillit avec faste le prince Eugène de Savoie-Carignan. Ce fils de la comtesse de Soissons n’était pas bien vu à la cour de France ; Louis XIV menaça de couper les subsides prévus par le traité d’amitié franco-savoyard de 1682. Avec l’édit de Fontainebleau, le roi de France demanda à Victor-Amédée de chasser de Savoie les quelques milliers de Vaudois ou Barbets, qui accueillait les protestants du Briançonnais. En cas de refus, il prévint qu’il enverrait ses propres troupes. Alors, Victor-Amédée accepta de conduire avec Catinat une armée franco-savoyarde de 7 000 à 8 000 hommes pour faire campagne contre les montagnards. La guerre d’embuscades ne dura que d’avril à mai 1686 et les vallées furent « purgées ». Mais le duc de Savoie, exaspéré, n’avait plus besoin que d’un prétexte pour trahir la France.

En Angleterre, en février 1685, Charles II se convertit enfin au catholicisme, chose qu’il n’avait eu de cesse de monnayer ; mais ce fut que son lit de mort. Son frère, le duc d’York, lui succéda sous le nom de Jacques II, à 51 ans. Ce catholique ouvertement « papiste », ayant épousé une catholique, inspira quelque crainte à l’aristocratie et au peuple anglicans. Ils n’acceptèrent son accession au trône que parce que, en l’absence d’hériter mâle, la succession irait ensuite à sa fille aînée, Mary Stuart, anglicane convaincue et épouse du stathouder calviniste des Provinces-Unies, Guillaume d’Orange. Jacques II se déclara attaché aux lois fondamentales de son pays, rassura les hauts dignitaires et évêques anglicans ; alors le Parlement majoritairement loyaliste octroya les crédits sans difficulté. Du reste, l’opposition whig fonda ses espoirs sur le duc de Monmouth, fils adultérin de Charles II et protestant. Celui-ci se révolta dans l’ouest en juin 1685, soutenu par le comte d’Argyll en Ecosse. Jacques II écrasa le soulèvement dans le sang et en profita pour renforcer les prérogatives de la couronne, installer des catholiques aux postes clés, fonder une armée permanente et remanier les cours judiciaires.

Jacques (James) II Stuart (1633-1701), roi d’Angleterre, Ecosse et Irlande (1685-1688).

Le souverain anglais comptait à terme installer un absolutisme centralisé, protégeant toutes les minorités religieuses. Après avoir envoyé un ambassadeur à Rome en janvier 1686, un premier pas concret fut franchi le 14 avril 1687 : par la déclaration d’indulgence dispensant du Test (serment anglican exigé des fonctionnaires), Jacques II accorda la liberté de conscience aux pratiquants « non conformistes » (catholiques romains, puritains…), soit 1% de la population. L’Eglise anglicane en fut outrée et les protestations se firent vives. Le roi prononça la dissolution du Parlement le 12 juillet, ce qui n’améliora pas les choses. Pourtant, tout ceci n’indiquait pas un rapprochement entre Jacques II et Louis XIV, au contraire. Jacques II, pour ne pas provoquer son peuple anglican et ne comptant pas suivre la politique française, prit ses distances avec son cousin, d’autant plus après la révocation de l’édit de Nantes. En août 1685, il renouvela le traité d’alliance anglo-hollandais.

Philippe-Guillaume de Neubourg-Wittelsbach (1615-1690), duc de Juliers et Berg (1653-1679), duc de Neubourg (1666-1690) et électeur palatin (1685-1690).

En Allemagne, une crise se forma autour de la succession palatine. En mai 1685, Charles II de Simmern, comte palatin du Rhin, calviniste, décéda sans enfant. Conformément au traité de Munster, un parent catholique de la branche cadette du Palatinat-Neubourg, Philippe-Guillaume de Neubourg-Wittelsbach, lui succéda. Voir ce fidèle de la maison d’Autriche, beau-père de l’Empereur, à ses frontières ne rassura pas Louis XIV. Il fit valoir les droits successoraux d’Élisabeth Charlotte d’Orléans, princesse palatine, sœur de feu l’électeur et belle-sœur du roi de France. La France réclama alors environ la moitié du Palatinat. Pour ne pas brusquer la trêve de Ratisbonne, il proposa l’arbitrage du pape avant toute occupation. L’Empereur refusa l’arbitrage, car il en allait de l’une des terres du Saint Empire romain. Pire, l’Europe, échaudée par les réunions, forma les alliances suédo-hollandaise, suédo-brandebourgeoise et austro-brandebourgeoise. Du côté de l’Espagne, ce n’était là qu’une paix armée. Jusqu’en 1685, Madrid toléra la présence de marchands étrangers à Cadix, disputant le prétendu monopole colonial du commerce avec les Amériques. Or, en 1685, l’Espagne imposa des taxes si fortes qu’elles avaient le potentiel de ruiner les marchands français. La France envoya une escadre en juin 1686 pour que soit levée la taxe. En juillet 1686, la ligue d’Augsbourg fut formée avec l’Autriche, l’Espagne (pour le cercle de Bourgogne), la Suède (pour ses possessions germaniques), la Bavière et le cercle de Franconie, bientôt rejoints par le cercle du Haut-Rhin, le Palatinat de Philippe-Guillaume de Neubourg-Wittelsbach et le Holstein-Gottorp. Pendant ce temps, la France, se sentant menacée, prenait des mesures défensives : renforcement des fortifications de Landau, érection de Fort-Louis sur le Rhin et de Mont-Royal sur la Moselle.

Élisabeth Charlotte d’Orléans (1676-1744), « petite-fille de France », duchesse consort de Lorraine et de Bar (1698-1729), princesse de Commercy (1737-1744).
Innocent XI (1611-1689), 240e pape de l’Eglise catholique (1676-1689), béatifié en 1956.

La demande par la France d’un arbitrage pontifical sur le Palatinat n’était par ailleurs que peu avisée ; les relations avec Innocent XI étant exécrables. Si le pape ne put arbitrer en défaveur de la France (l’Empereur ayant refusé l’arbitrage), Innocent en profita pour raviver le conflit sur les immunités des quartiers d’ambassades à la mort du comte d’Estrées, en janvier 1687. La France envoya le cassant et hautain marquis de Lavardin pour le remplacer. Celui-ci entra dans Rome avec faste et une solide escorte. Le pape l’excommunia sans sommation. Alors reprit le ballet habituel : la France prit Avignon et menaça d’un schisme. Pourtant, Louis XIV retint soudainement ses coups. C’est qu’une nouvelle crise s’ouvrait en Allemagne avec la mort de l’archevêque-électeur de Cologne, Maximilien-Henri de Bavière, fidèle allié de la France, en juin 1688. La France proposa son tout aussi fidèle allié le prince-évêque de Strasbourg : le cardinal Guillaume-Egon de Fürstenberg (que Maximilien-Henri avait désigné comme candidat à sa succession). L’Empereur et les princes allemands opposèrent au candidat français le prince Joseph Clément, frère de l’électeur de Bavière, évêque de Freisingen et Ratisbonne. Le pape, germanophile, arbitra évidemment en faveur du second, malgré l’envoie à Rome du marquis de Chamlay, maréchal des logis, pour convaincre sa Sainteté du choix opposé. L’influence de Louis XIV déclinait dangereusement en Europe centrale, tandis que les Ottomans, depuis leur échec devant Vienne (1683) n’avaient de cesse de refluer. Léopold Ier reprenant la Hongrie, l’emporta sur les Ottomans à Buda (1686) et Mohacz (1687) avant de prendre Belgrade (septembre 1688). Louvois incita Louis XIV à une guerre préventive, tant qu’elle était possible.

Maximilien-Henri de Bavière (1621-1688), archevêque-électeur de Cologne, prince-évêque de Liège et évêque de Hildesheim (1650-1688), puis également évêque de Münster (1683-1688).
Guillaume-Egon de Früstenberg (1629-1704), prince-évêque de Metz (1663-1668), de Strasbourg (1682-1704), créé cardinal en 1686.

Le 24 septembre 1688, Louis XIV dénonça les actes d’hostilité contre la France : refus obstiné de faire de la trêve de Ratisbonne une paix pérenne, rejet des prétentions de la duchesse d’Orléans sur la succession palatine, formation de la ligue d’Augsbourg. Il justifia ainsi l’occupation de Philippsbourg, dernière porte ouverte du Rhin sur la France. Cependant, il promit de rendre Philippsbourg et même Fribourg (possédée depuis longtemps par la France), de renoncer à la succession palatine (contre un dédommagement satisfaisant), si on faisait de la trêve de Ratisbonne un traité ; il reconnaîtrait enfin Joseph Clément à la coadjutorerie si l’évêque de Strasbourg était reconnu électeur de Cologne. Louis XIV donnait, par ce « Mémoire des raisons », un ultimatum de trois mois. Les troupes françaises occupèrent Avignon, l’électorat de Cologne et l’évêché de Liège tandis que le Grand Dauphin s’en allait assiéger Philippsbourg. Lors du départ de son fils, Louis XIV lui dit de « faire connaître votre mérite, allez le montrer à toute l’Europe afin que, quand je viendrai à mourir, on ne s’aperçoive pas que le roi est mort. » C’était la première fois que Louis XIV, juste 50 ans, parlait de sa mort. Monseigneur, 27 ans, accompagné de Vauban, vint à bout de Philippsbourg le 29 octobre. Après quoi, la France occupa également Mannheim, Frankenthal et le Palatinat. De facto, c’était engager la guerre.

Ce coup de poker se fondait sur un pari de Louis XIV : il pensait que les changements qui s’opéraient en Angleterre allaient immobiliser tant Londres qu’Amsterdam pendant quelques temps, laissant à la France davantage de libertés en Allemagne. Pourtant, le 20 juin 1688, la reine d’Angleterre, Marie-Béatrice de Modène, seconde épouse de Jacques II, mit au monde un fils, Jacques-Édouard, prince de Galles. Les anglicans n’avaient pas prévu que Jacques II, 54 ans, puisse avoir un héritier mâle. Cela changeait totalement la donne : Mary Stuart, née d’un premier lit, n’était plus l’héritière du trône. Ce qui devait être une brève anomalie catholique avait désormais la capacité de durer éternellement. Crainte confirmée par les mesures récentes du roi : la mise en application, en mai 1688, de la déclaration d’indulgence datant d’avril 1687 et la condamnation par la justice de 7 prélats ayant refusé de la lire en chaire. Si les prélats furent acquittés le 10 juillet, le mal était fait. Mary Stuart et Guillaume d’Orange, régnant sur les Provinces-Unies, profitèrent de leur popularité en Angleterre pour mettre en doute la grossesse de Marie-Béatrice. On disait que l’enfant avait été apporté en cachette au palais. Le 10 juillet 1688, alors que les prélats étaient acquittés, sept des plus grands personnages du royaume lancèrent un appel à Guillaume d’Orange au nom des « dix-neuf vingtièmes » du peuple britannique. Les Orangistes néerlandais appuyèrent alors l’idée d’une expédition en Angleterre pour contraindre le gouvernement à se déclarer contre la France. Les tentatives d’intimidation de Louis XIV furent inutiles. Il menaça pourtant qu’un débarquement du prince en Angleterre serait un casus belli. Le roi de France proposa alors un secours de 30 000 hommes à son cousin d’outre-Manche, qui les refusa par orgueil. Guillaume accepta la demande d’aide en septembre 1688. C’est à cet instant que la France lança son ultimatum et occupa des places en Allemagne, axant sa politique sur le Rhin et non les Provinces-Unies.

Louis XIV sous-estimait alors Guillaume d’Orange, surestimait son cousin Jacques II et surtout sa popularité dans la Royal Navy (qu’il avait pourtant jadis commandée). Si celle-ci s’était montrée fidèle, elle aurait mis en échec l’expédition de Guillaume. Le 11 novembre 1688, une flotte de 50 vaisseaux de guerre et 225 transports de troupes vogua vers l’Angleterre. Ralentie par les vents contraires, elle ne toucha terre que le 15 sur la plage de Torbay, sans avoir été interceptée. Le stathouder Guillaume d’Orange et le maréchal de France huguenot exilé, le comte de Schomberg, prirent le commandement de 13 000 Anglais, Brandebourgeois et réfugiés français. Officiellement, il ne fut jamais question de détrôner Jacques II mais seulement de restaurer la paix publique et la juste cause protestantes contre les mauvais conseillers du roi. Ce dernier rassembla 40 000 hommes à Salisbury et aurait pu écraser Guillaume d’Orange. Seulement, son ami John Churchill, lieutenant général et frère de sa maîtresse, passa à l’ennemi avec 400 hommes. Cette trahison en motiva d’autres : les villes et comtés, ministres et évêques, même sa seconde fille (Anne, reine du Danemark) abandonnèrent le roi. Après avoir jeté le grand Sceau de l’État dans la Tamise, celui-ci quitta son palais dans la nuit de 20 au 21 décembre pour se réfugier en France. Déguisé, il fut reconnu lorsqu’il embarqua, fut ramené à Londres où Guillaume, qui ne voulait pas reproduire le schéma exécuté par Cromwell, le laissa à nouveau s’échapper le 2 janvier 1689. Jacques II fut accueilli avec dignité en France. Le 23 février 1689 (13 février pour le calendrier julien, -10j), un comité de parlementaires à majorité whig proclama Guillaume et Mary « roi et reine d’Angleterre, de France, d’Irlande et des États y appartenant ». La Glorious Revolution n’avait pas connu de bain de sang. La Déclaration des droits (Bill of Rights), charte des libertés anglaises, jeta les bases d’une monarchie limitée ce même 23 février.

Texte (sources) :

Petitfils, Jean-Christian (1995). Louis XIV. Paris : Tempus Perrin, 785p.

Lynn, John A. (1999). Les guerres de Louis XIV. Londres : Tempus Perrin, 568p.

Bluche, François (1986). Louis XIV. Paris : Fayard, 1040p.

Sources (images) :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_II_(roi_d%27Angleterre) (Jacques II)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe-Guillaume_de_Neubourg (Philippe-Guillaume de Neubourg-Wittelsbach)

https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lisabeth-Charlotte_d%27Orl%C3%A9ans#Mort_de_la_derni%C3%A8re_duchesse_de_Lorraine (Elisabeth-Charlotte d’Orléans)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Maximilien-Henri_de_Bavi%C3%A8re (Archevêque-électeur Maximilien-Henri de Bavière)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Guillaume-Egon_de_F%C3%BCrstenberg (cardinal de Früstenberg)

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