Alexandre le Grand (partie VI) : L’Inde pour limite (329-326 av. J.C)
Rappel : dès sa victoire à Gaugamèles acquise, Alexandre débuta une véritable traque. Le roi de Macédoine voulait rattraper Darius III pour prendre sa place et gouverner le monde. Dans cette frénétique poursuite, Alexandre entra dans les capitales de l’Empire perse achéménide : Babylone, Suse, Persépolis et Ecbatane. Dans Persépolis, Alexandre laissa ses hommes massacrer la population et piller la ville. Bessus, cousin de Darius, trahit le roi des Rois. Il nourrissait le projet de le livrer mais finit par le tuer. Alexandre, qui n’avait pas souhaité cette finalité, se devait de poursuivre Bessus. Après tout, il avait la légitimité nécessaire pour revendiquer le trône. Cette traque mena les Macédoniens à l’extrémité orientale de l’Empire perse, en Sogdiane et en Bactriane. Les Macédoniens montraient des signes de lassitude et, plus grave, acceptaient mal l’orientalisation d’Alexandre. Ce dernier voulait trouver l’Océan Extérieur : la limite du monde. Bessus fut livré au roi, seulement pour être remplacé dans la dissidence par un certain Spitamène.
Le roi de Macédoine envoya un corps d’armée secourir l’avant-garde piégée dans Maracanda. Bien qu’étant blessé et malade, Alexandre traversa, lui, l’Iaxarte et affronta les Scythes sur l’autre rive. Il tua 1 000 d’entre eux et fit 150 prisonniers au prix de 160 des siens tués et 1 000 blessés. Le corps d’armée envoyé à Maracanda se trouva pris dans une embuscade et exterminé par les rebelles. L’avant-garde, désormais garnison de Maracanda, était toujours en danger. Alexandre se hâta avec quelques troupes et sauva la ville en faisant fuir Spitamène. La fuite de ce dernier tenait beaucoup à sa surprise quant à la chute aussi rapide de l’Heptapole devant Alexandre. En particulier Cyropolis, dont il attendait une belle résistance. Alexandre célébra ses 27 ans et massacra pendant plusieurs jours tous les vivants de la région : le plus gros bain de sang dont il se rendit coupable jusque-là. Cette manière expéditive de soumettre la région faisait écho à celle utilisée par l’Achéménide Cyrus. Pour l’heure il devait rétablir ses lignes de communication en Bactriane.
Il reçut les ambassades des différentes peuplades Scythes qui se soumettaient et se rendit compte qu’il était très loin de la limite du monde. Une limite qu’il avait crue si proche. Du moins, au nord restait-il quantité de terres. Il décida alors d’aller au sud-est, vers l’Inde, qu’il pensait bien plus proche du fameux Océan Extérieur. Alexandre savait à présent qu’il devrait passer toute sa vie à conquérir un monde bien plus grand qu’il ne l’avait imaginé ; lui qui voulait atteindre le sud de l’Afrique avant de prendre la péninsule italienne et l’Europe entière. Il reçut d’importants renforts à point nommé pour son invasion de l’Inde : 17 000 fantassins et 2 600 cavaliers. C’était sans compter sur la Sogdiane qui entra en rébellion en février 328*. Alexandre y retourna massacrer de nouveau massivement les habitants de la province jusqu’à l’été.
*Sauf indication contraire, toutes les dates de cet article sont sous-entendues avant Jésus Christ.
La question épineuse de la prosternation pour des hommes libres Grecs vint alors à se poser. Alexandre demandait désormais à ses hommes la proskynèse. C’était un problème de taille car les Grecs, comme les Macédoniens, montraient leur fidélité au souverain en lui baisant la main, non en abaissant leur menton jusqu’à ce qu’il touche le sol (proskynèse), ce que faisaient les Perses. Le fait qu’Alexandre se croie un demi-dieu et se comporte comme tel, voire carrément comme une divinité, ne heurtait pas les Grecs mais choquait les Macédoniens. Tant et si bien qu’un nouveau complot fut fomenté contre Alexandre en 328. Il échoua. La proskynèse n’allait avoir de cesse de causer des problèmes à Alexandre. Après le complot, ce fut la contestation de Kleitos (Clitus le Noir), l’un de ses amis macédoniens qui l’avait sauvé au Granique et qui vilipendait la prosternation. Durant un banquet un peu trop arrosé, par ailleurs en l’honneur de Kleitos, il railla Alexandre à plusieurs reprises qui céda finalement à une rage incontrôlée. Le roi, se saisissant d’un javelot, tua son ami. Cet événement ne serait pas sans conséquences. Mais celles-ci apparaitront bien plus tard.
Une chose était sûre et notable à cet instant de la campagne : Alexandre était un bon général en cela qu’il protégeait ses lignes de communication et ne manquait ainsi jamais de ravitaillement ou de nouvelles recrues. Une nouvelle révolte éclata en Sogdiane en 328 mais Spitamène y trouva la mort sans le concours d’Alexandre qui, néanmoins, s’en alla mâter les séditieux. En janvier 327, Oxyarte, prince bactrien, était le dernier résistant à Alexandre. Il avait pour lui une forteresse jugée imprenable car au bord de précipices. 300 Macédoniens escaladèrent les murs, 30 mourants dans l’entreprise, et prirent la forteresse. La reddition d’Oxyarte fut ainsi obtenue avec la capture de sa fille Roxane qu’Alexandre épousa. L’alliance nouée, Oxyarte parvint à convaincre une autre forteresse, dirigée par un ami, de se rendre.
Alexandre pouvait enfin, en 327, partir pour l’Inde. La Bactriane et la Sogdiane étaient pacifiées après tant de massacres.
Alexandre avait autorité de vie ou de mort sur à peu près n’importe qui, dont ses hommes, et il utilisait cette autorité, notamment contre ses hommes. Cette réalité lui fit perdre le contact avec sa troupe, particulièrement les Macédoniens. Alexandre devenait un potentat oriental, ce que ses hommes rejetaient catégoriquement. Héphestion restait son plus cher ami et soutien.
Malgré les garnisons et un corps d’armée fort de 10 000 hommes et 3 500 cavaliers laissés derrière, Alexandre partait pour l’Inde avec 50 à 60 000 hommes (d’après les chercheurs modernes), du fait de nombreux renforts que l’appât du gain lui obtenait. Au milieu de l’été 327, le roi de Macédoine entra en Inde et fit alliance avec Omphis, radjah du Taxlia (entre l’Indus et l’Hydaspe). Ce nouvel allié voulait faire la guerre à Poros*, radjah au-delà de l’Hydaspe, avec l’aide d’Alexandre. Ce dernier n’hésita pas. Le roi de Macédoine, 29 ans, n’hésita pas non plus à massacrer, pour la troisième année consécutive, tous ceux qui s’opposaient à lui. Durant l’hiver 327, une troisième conspiration contre Alexandre fut découverte. Celle-ci, fomentée par un certain Callisthène ayant endoctriné des jeunes Ephèbes (service personnel du roi) était encore due à la proskynèse. L’entreprise échoua.
*Poros est connu sous son nom latin : Porus.
Les Macédoniens traversèrent l’Indus au printemps 326. Ils devaient se frayer un chemin dans la végétation luxuriante de l’Inde et se perdaient dans des affrontements de détail. Alexandre y risquait, par ailleurs, continuellement sa vie, à l’instar de Ptolémée, l’un de ses meilleurs généraux et potentiellement son demi-frère. Les massacres et les pillages suivaient le sillage macédonien. Une fois, Alexandre captura une reine, Cléophis, d’une grande beauté. Ils passèrent la nuit ensemble et elle lui donna un fils, du nom d’Alexandre (la paternité n’est pas assurée). Une des rares histoires d’Alexandre avec une femme.
Alors que les Macédoniens avaient déjà parcouru 10 000 km de Zadracarta à l’Inde, l’ennemi désigné de cette campagne se manifesta enfin, à la fin du printemps 326. Poros campait sur la rive opposée d’un fleuve nommé Hydaspe, avec 20 à 50 000 fantassins, 4 000 cavaliers, des centaines de chars et 300 éléphants. Attaquer frontalement le radjah indien revenait à traverser l’Hydaspe devant l’ennemi et promettait un échec cuisant. Alexandre décida de faire diversion : il laissa face à Poros le gros de son armée avec Cratère. Le roi s’en alla, lui, plus au sud, accompagné de 12 à 14 000 hommes, dont 5 000 cavaliers, parmi lesquels des archers montés Scythes. Il traversa où le fleuve était moins large. Tout ceci se faisait sous une pluie torrentielle, durant un orage, de nuit : Alexandre avait le malheur d’attaquer son adversaire durant la saison des pluies, à la mi-juin (ce qu’on appelle désormais la mousson, une saison qui s’étend de juin à septembre en Inde).
Le roi macédonien misait tout sur une attaque surprise mais fut repéré à cause de sa lenteur. Le radjah indien attendait, de fait, des renforts d’un autre radjah (provenant du Cachemire) qui devait soutenir Poros en arrivant depuis cette même direction. Renforts dont Alexandre n’avait pas soupçonné l’existence. Si le roi de Macédoine avait attaqué plus tard, il aurait eu à affronter une masse bien plus importante d’ennemis. Poros envoya une avant-garde contre Alexandre, menée par un des fils du radjah : il avait sous-estimé le nombre des Macédoniens. L’avant-garde fut facilement écrasée et le fils du radjah y perdit la vie. Poros, apprenant la mort de son fils, décida de laisser une petite partie de son armée face à Cratère et d’en jeter la majeure partie dans la mêlée (30 000 fantassins, 4 000 cavaliers, 300 chars et 200 éléphants) pour submerger les phalanges macédoniennes.
Ainsi débuta la bataille de l’Hydaspe (326), la première grande bataille depuis Gaugamelès (331). Alexandre disposa son infanterie au centre, entourée de deux ailes constituées de cavaliers. Il ordonna à la cavalerie d’aller au-delà des ailes ennemies puis de les attaquer sur leurs arrières, de manière à être le plus loin possible des éléphants indiens, placés en première ligne, qui faisaient peur aux chevaux. Pour s’assurer que les cavaliers indiens ne leur couperaient pas la route prématurément, il envoya les cavaliers montés Scythes harceler les flancs de l’armée de Poros. L’infanterie devait avancer pour affronter les éléphants et les fantassins adverses.
Sa manœuvre fut un succès mais très vite le combat devint confus. L’armée d’Alexandre commença à encercler l’armée indienne. Celle-ci se faisait de plus piétiner par ses propres éléphants dont une majorité avait péri. Poros montait l’un de ces éléphants.
Le reste de l’armée macédonienne parvint à traverser sous la direction de Cratère et l’armée indienne partit en déroute. Poros, qui avait perdu un deuxième fils dans le combat, refusait de se rendre. Il lutta jusqu’à la fin, tenta de s’échapper mais fut finalement rattrapé. Le bilan de cette bataille faisait état de 12 à 23 000 Indiens tués alors qu’Alexandre perdait 700 fantassins et 300 cavaliers. Le roi de Macédoine y avait également perdu son fidèle cheval Bucéphale. L’armée de soutien du radjah du Cachemire fit demi-tour en apprenant l’issue de la bataille de l’Hydaspe et annonça sa soumission. Alexandre admirait le courage et le caractère de Poros. Il eut à cœur de s’en faire un ami. De ce fait découla l’interdiction de piller les territoires de Poros. Alexandre força Omphis et Poros à régler leurs différends. Le jeune conquérant fonda également deux villes : Bucéphalie, en l’honneur de sa monture tombée au champ d’honneur ; et Nicée, en référence à la déesse grecque éponyme de la victoire.
Alors qu’Alexandre allait se remettre en marche vers l’est, il ordonna à Néarque, son amiral, de constituer une grande flotte. Cette décision nous en dit long sur l’état d’esprit du conquérant : il pensait être à quelques jours de la limite du monde. Et ce bien qu’il avait récemment appris l’existence de Xandramès, un radjah usurpateur détesté par ses semblables et dirigeant un vaste royaume plus au sud-est. Alexandre ne cessait d’avancer mais la limite physique et morale de son armée était atteinte. Le roi de Macédoine entreprenait de franchir l’Hyphase puis d’enjamber le Gange supérieur pour déferler sur ce qu’il ne savait pas être l’immense sous-continent indien. Alexandre pensait que le Gange supérieur, au même titre que le Danube au nord et l’Iaxarte au nord-est, étaient les derniers obstacles avant la fin du monde. L’armée refusa pourtant de franchir l’Hyphase. Les présages furent défavorables au roi.
Qu’on ne s’y méprenne pas, les religieux pouvaient bien lire ce qu’ils voulaient dans les entrailles des animaux. Pareils aux oracles, les religieux délivraient un message qui convenait à la situation. Alexandre tenta de convaincre ses hommes, traversa seul le fleuve mais ne parvint pas, pour la première fois, à infléchir le cours des événements selon sa volonté. Le roi de Macédoine accepta de s’en retourner vers l’occident, déclenchant les cris de joie de la troupe. Qu’à cela ne tienne, s’il tournait le dos à la limite orientale du monde par la volonté de son armée, c’était pour aller explorer la limite sud par un voyage vers le golfe persique. Il avait même pour ambition de pousser l’exploration jusqu’au sud de l’Afrique, qu’il pensait bien moins éloigné de sa position qu’il ne l’était réellement. Il estimait ce voyage long de 2 à 3 ans. Les Macédoniens pensaient rentrer chez eux, Alexandre n’en avait aucunement l’intention.
On s’en souvient, il avait ordonné à Néarque (son ami d’enfance) de bâtir une grande flotte avant de pousser son exploration jusqu’à la limite physique de ses hommes. Celle-ci était prête, forte de 800 à 1 000 bâtiments. Alexandre embarqua avec 8 000 hommes et leurs chevaux. Cratère menait une partie de l’armée sur une rive, Héphestion, qui était souvent désigné comme second désormais, dirigeait l’autre partie de l’armée, plus conséquente, avec 200 éléphants, sur la rive opposée. Alexandre avait reçu 25 000 nouvelles recrues avec du ravitaillement juste avant de partir. Il laissait, par ailleurs, plus de territoires à Poros que ce dernier n’en possédait initialement.
Sources (texte) :
Weigall, Arthur (2019). Alexandre le Grand. Paris : Éditions Payot & Rivages, 512p.
Benoist-Méchin, Jacques (2009). Alexandre le Grand. Millau : Tempus Perrin, 352p.
Sources (images) :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_le_Grand (Empire d’Alexandre à son apogée + focus sur le parcours à l’est)
http://antikforever.com/guerres_batailles/batailles/portes_persiques_hydaspe.htm (bataille de l’Hydaspe)
https://alchetron.com/Hecataeus-of-Miletus (océan extérieur)