Alexandre le Grand (partie V) : De Gaugamèles au bout du monde (331-329 av. J.C)

Alexandre le Grand (partie V) : De Gaugamèles au bout du monde (331-329 av. J.C)

Rappel : après avoir vaincu par deux fois les armées achéménides (au Granique en 334 et à Issos en 333), Alexandre s’attela à envahir la Syrie. L’île-cité de Tyr essaya alors d’imposer sa neutralité. Le conquérant macédonien, irrité, s’en alla mener le siège de Tyr de janvier à juillet 332. L’île-cité finit par tomber et un massacre y fut perpétré par les Macédoniens. Le message était clair : Alexandre ne tolérerait aucune résistance. Gaza, en Palestine, se décida pourtant également à résister. Bien moins robuste que Tyr, Gaza céda plus rapidement et n’échappa pas au massacre. Alexandre continua sa route jusqu’en Egypte, où il fut accueilli comme un dieu et nommé pharaon. Le conquérant aurait pu s’en retourner en Macédoine si Darius III n’avait pas rassemblé une nouvelle grande armée en Mésopotamie. L’épopée n’était pas terminée, les Achéménides avaient encore de la ressource.

Partir en avril était une terrible erreur : c’était marcher des centaines de kilomètres lors de la saison la plus chaude dans une zone désertique. L’armée grecque souffrit le martyr jusqu’à arriver proche de la Mossoul actuelle, à la plaine de Gaugamela (Gaugamèles). Elle faisait là face à la grande armée de Darius. La reine perse, captive d’Alexandre, mourut avant la grande bataille et reçut les funérailles et honneurs perses. Les estimations prêtaient aux Perses de 200 000 fantassins et 45 000 cavaliers à 1 000 000 de fantassins et 100 000 cavaliers. Sachant l’armée d’Alexandre forte de 40 000 fantassins et 7 000 cavaliers, il est improbable que l’armée de Darius ait dépassé 100 000 ou 150 000 hommes. La supériorité numérique perse n’en était pas moins insupportable aux Macédoniens.

Itinéraire d’Alexandre d’Issos à Babylone (333-331 av. J.C)

Cependant, on peut avancer que la tactique des phalanges macédoniennes, répondant aux principes des mathématiques et de la logique, si chers aux Grecs, était supérieure aux formations perses. Si la civilisation grecque n’était pas globalement supérieure à celle de l’Empire achéménide, elle l’était sur la question de la stratégie militaire. Surtout, les Macédoniens savaient leurs savantes formations grecques supérieures, chose vérifiée par deux fois déjà sur le champ de bataille. Ainsi, les Macédoniens étaient convaincus de leur supériorité mentale tandis que le moral des Perses n’était pas reluisant. Et pour cause : il est dit qu’une éclipse précéda le jour de l’affrontement, gage de défaite pour l’armée achéménide, tirée d’un peuple dont la civilisation accordait une très grande importance au ciel et aux dieux.

Le 1er octobre 331 débuta la bataille de Gaugamèles. Alexandre dirigeait l’aile droite, il savait le terrain au centre potentiellement truffé de chausse-trappes destinés à enrayer ses fameuses charges de cavalerie des Compagnons. Il se dirigea avec son aile vers la droite, c’est-à-dire avec de l’infanterie d’élite et ses Compagnons, pour attirer l’aile gauche perse loin du combat. Et effectivement, la cavalerie perse s’étira en miroir d’Alexandre pour empêcher tout débordement, formant un arc de cercle. Alors que les centres se rencontraient au milieu du champ de bataille et que l’aile gauche aux ordres de Parménion allait au contact de son vis-à-vis perse, Darius lança ses chars contre l’infanterie d’élite qui suivait le mouvement d’Alexandre. Les assaillants perses furent massacrés. Darius insista en envoyant des cavaliers pour agrandir l’arc de cercle et attaquer Alexandre sur sa droite. Le roi perse souhaitait profiter de sa supériorité numérique pour prendre Alexandre à son propre jeu.

Représentation de la bataille de Gaugamèles
Schéma tactique de la bataille de Gaugamèles (octobre 331 av. J.C)

Pour cela, il aurait fallu que Darius comprenne le jeu du macédonien en premier lieu car, ce faisant, il ouvrit une brèche entre l’arc de cercle formé par son aile gauche et le centre de son armée. Alexandre s’y engouffra, menant son habituelle charge, jusqu’à Darius. Tuant lui-même le conducteur du char de Darius, il provoqua la fuite du Grand Roi. Mais il ne pouvait le traquer car il devait secourir Parménion qui souffrait à gauche. Le mouvement d’Alexandre avait découvert le flanc de son général et celui-ci affrontait l’excellent général perse Mazée. Ayant sauvé sa gauche et mis toute l’armée perse en déroute, Alexandre poursuivit avec acharnement mais tardivement ses adversaires, ne pouvant leur infliger une défaite complète. Alexandre en voulut à Parménion. Les historiens antiques donnent entre 40 000 et 300 000 morts Perses et entre 300 et 500 morts Macédoniens. Les chiffres de 40 000 et 500 sont sûrement les plus proches de la vérité.

Carte avec les capitales de l’Empire perse achéménide

Alexandre se dirigea immédiatement vers Babylone et occupa la ville sans violence. Mazée, le général de Gaugamèles et gouverneur de la ville, l’accueillit et garda ainsi sa charge sous la férule macédonienne. Alexandre honora les dieux (dont les locaux) et se servit dans le trésor de Darius pour payer ses hommes et les dédommager de l’interdiction de piller la ville. Il se proclama Seigneur d’Asie et roi de Babylone. Puis il se dirigea vers Suse, autre capitale de l’Empire perse, qu’il prit également sans combattre fin novembre.

Alexandre envoya de l’argent à Platées, symbole de la dernière bataille des guerres médiques, renvoya deux statues prises à Athènes en 480, prévint les Grecs qu’il ne permettrait plus aucun écart de conduite et envoya une grosse somme à Antipater, son régent en Macédoine, pour qu’il réduise Sparte au silence. L’objectif d’Alexandre était désormais Persépolis (Parsa), capitale de la Perside, donc berceau de la Perse-même. Il partit de Suse en décembre 331. Pour encourager ses soldats à toujours aller plus loin, il disait vouloir piller puis raser la ville en massacrant tous ses habitants pour l’outrage fait à la Grèce durant les guerres médiques : le cœur de la Perse étant vu comme le principal vivier des troupes de l’invasion perse de ces guerres.

Alexandre partit en décembre ce qui était irréfléchi : il passait des centaines de km dans des chaînes de montagnes pendant la saison la plus froide comme il avait traversé la Syrie désertique dans la saison la plus chaude. Sur sa route, il massacra, avec l’aide de son général Cratère, quelques tribus résistantes dans différents défilés des montagnes ; une fois en faisant diversion pendant que Cratère faisait le tour, une autre avec les rôles inversés, les deux fois à la faveur de la nuit. Arrivée à Persépolis très rapidement, l’armée s’empara du trésor qui n’avait pas pu être transporté hors de la ville à temps.

Représentation des exactions macédoniennes à Persépolis (330)

Le pillage infâme commença, le massacre de toute la population et le viol des femmes avant de leur ôter la vie. Sur ordre d’Alexandre, seul le palais fut épargné. Le roi de Macédoine ordonna d’épargner les femmes également, mais tardivement, lorsqu’il n’en restait plus grand nombre. Fin avril 330, il annonça à son armée vouloir aller à Ecbatane, capitale de la Médie, plus au nord-ouest de Persépolis, à mi-chemin entre les Bagdad et Téhéran actuelles. Les soldats en furent réjouis car, déjà riches, ils commençaient à vouloir rentrer en Macédoine après déjà 4 ans de campagnes ; or on disait Darius à Ecbatane : le vaincre définitivement mettrait sûrement fin à cette guerre interminable. Avant de partir de Persépolis, lors d’une orgie, Alexandre, ivre, fit flamber le palais. Il était par ailleurs sûr d’avoir trouvé en le golfe persique un golfe de l’Océan Extérieur, la limite du monde.

Alors que Sparte était vaincue par Antipater en bataille rangée et que des otages parvenaient à Alexandre, les Macédoniens arrivèrent à Ecbatane fin mai. Ils apprirent ainsi que Darius avait échoué à lever une nouvelle armée et s’était enfui en Bactriane avec quelques milliers de fidèles. Le roi de Macédoine le pourchassa tout en renvoyant chez eux quelques troupes qui le désiraient ardemment (notamment la cavalerie thessalienne et la majorité des cavaliers Grecs). Il fit également rassembler les trésors de Suse et Persépolis à Ecbatane sous la garde d’Harpale, un ami d’enfance, qui ne tarderait pas à prendre une large part de ces fonds pour lui-même, trahissant la confiance du conquérant.

Avec ses Compagnons, Alexandre traqua Darius tandis que Parmenion suivait un itinéraire plus tranquille. Alexandre s’arrêta proche de la Téhéran actuelle car il croisait sans cesse des déserteurs de « l’armée » de Darius. Il attendit 5 jours, hésitant. Il apprit alors que Darius avait été forcé d’abdiquer et qu’il était désormais le prisonnier de Bessus, son cousin vice-roi de Bactriane. Alexandre partit immédiatement, il ne voulait pas la mort de Darius et craignait que Bessus ne se proclame Grand Roi.

Itinéraire d’Alexandre de Babylone (331) à Babylone (324)
Représentation d’Alexandre découvrant la dépouille de Darius III

Le roi de Macédoine traqua et rattrapa Bessus. Seulement il avait imposé un tel rythme à ses hommes que seulement 60 d’entre eux l’entouraient encore. Les forces de Bessus était 50 fois supérieures en nombre. Mais ça, Bessus n’en avait aucune idée. Les Perses prirent la fuite et, Darius refusant de monter à cheval, le blessèrent mortellement. Darius mourut avant qu’Alexandre ne puisse lui parler. Le roi de Macédoine recouvrit alors le Grand Roi déchu de son manteau pourpre, signe qu’Alexandre se voulait son successeur. C’est à ce moment que germa réellement l’idée qu’il pouvait s’emparer du monde entier. Après quelques jours de repos pour regrouper l’armée distancée par la furieuse chevauchée d’Alexandre, les Macédoniens poursuivirent leur route jusqu’à entrer dans la province d’Hyrcanie (nord du Khorassan actuel) et dans la capitale de province : Zadracarta. Arrivé aux abords de la mer Caspienne, Alexandre se demanda s’il voyait là une autre limite du monde, rejoignant l’Océan Extérieur.

Le monde dans l’Antiquité selon les Grecs

C’est alors que la rumeur qu’Alexandre allait enfin rentrer en Macédoine après 4 ans et demi et 10 000 km parcourus circula dans son armée, qui explosa de joie. Alexandre dut démentir la rumeur par un discours enflammé affirmant qu’il fallait continuer. Il laissa tout de même le choix à ses hommes de partir à la condition de l’abandonner alors qu’il pouvait « soumettre la terre entière aux Macédoniens ». Tous restèrent. Son armée, forte d’encore 20 000 fantassins et 3 000 cavaliers, ne regroupait que l’élite après avoir laissé des garnisons dans tout l’empire et perdu des hommes au combat ou de maladie. Alexandre, comme en Macédoine avant l’Asie Mineure, à Tyr avant la Mésopotamie, à Suse avant la Perse, tint un banquet et des jeux pour ouvrir une nouvelle campagne en Asie centrale.

Le roi macédonien, 26 ans, devenait arrogant et adoptait de plus en plus le costume oriental. Tous les princes se soumettant à son autorité lui offraient leur fille en mariage et essuyaient un refus. Alexandre était pour le moment occupé à traquer Bessus. Du moins, jusqu’à ce qu’un prince s’étant récemment soumis à Alexandre le trahisse finalement pour rejoindre ce même Bessus. Alexandre, avec une partie de son armée, s’enfonça dans l’Afghanistan actuel jusqu’à la Bactriane d’alors pour punir ce prince. Sur la route, il fit mettre à mort des comploteurs contre sa vie dont Philotas, fils de Parménion, qui critiquait depuis l’Egypte déjà la nature divine d’Alexandre. Philotas ayant dénoncé d’autres soldats mais surtout son père, Alexandre condamna ainsi le vieux Parménion, laissé à Ecbatane car trop vieux, remplacé par Cratère. Il envoya simplement des hommes l’exécuter en cette fin 330. Parménion avait perdu 3 fils pour lui ; Alexandre lui ôtait en sus la vie.

Alexandre reçut des milliers de renforts venant de l’occident, fonda 3 Alexandrie sur son chemin et traversa dans le froid les cols des montagnes. Il marcha en direction de la capitale de la Bactriane puis rentra dans la province adjacente : la Sogdiane (Boukharie). En mai 329, Bessus fut trahi par un dénommé Spitamène et livré au conquérant macédonien. Alexandre eut tout le loisir de le châtier selon la tradition perse : en lui coupant les oreilles et le nez puis en l’écartelant ; un châtiment considéré comme barbare par ses hommes. Alexandre se voulait le successeur de Darius, il commençait à adopter l’accoutrement royal perse et s’orientalisait. Si bien qu’il devint peu à peu étranger à la troupe.

Le roi de Macédoine voulait néanmoins atteindre l’Iaxartès, qui marquait dans son esprit la fin du monde, après lequel il pensait ne trouver qu’une étendue désertique jusqu’à l’Océan Extérieur. Comme il savait la grogne de plus en plus présente chez ses vétérans qui luttaient à ses côtés depuis tant d’années désormais, il en renvoya une partie en Macédoine. Nombre de jeunes recrues, appâtées par le butin et la gloire, le rejoignaient de l’occident. Alexandre poussa jusqu’à Maracanda (Samarcande), la capitale de la province sogdienne, à la mi-juin.

Une révolte, menée par Spitamène, naquît à Maracanda et se répandit dans la Sogdiane. Avant d’investir la capitale sogdienne, Alexandre prit et massacra la population de 7 villes en quelques jours avant d’envoyer une avant-garde vers Maracanda. La prise de ces sept places fortes, l’Heptapole constituée par Cyrus le Grand, fut à ce point fulgurante grâce aux catapultes, aux béliers et à la créativité du corps du génie. Alexandre fut impitoyable, il massacra la majorité des hommes, réduisit à l’esclavage les femmes et les enfants. Pendant ce temps, son avant-garde avait trouvé une Maracanda non défendue et s’était laissée piéger en entrant dans l’enceinte, se trouvant ainsi assiégée par Spitamène.

Sources (texte) :

Weigall, Arthur (2019). Alexandre le Grand. Paris : Éditions Payot & Rivages, 512p.

Benoist-Méchin, Jacques (2009). Alexandre le Grand. Millau : Tempus Perrin, 352p.

Sources (images) :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_le_Grand (parcours haché d’Alexandre)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Gaugam%C3%A8les#/media/Fichier:Charles_Le_Brun_Bataille_d’Arbelles.jpg (bataille de Gaugamélès + schéma tactique)

http://users.belgacom.net/bn061744/antiquite/antperses.htm (capitales empire perse)

https://www.sciencesource.com/archive/Alexander-the-Great-and-the-Fire-of-Persepolis–Illustration-SS2872541.html (Persépolis pillée)

http://socialstudiesforkids.com/articles/worldhistory/alexanderthegreatsuccess7.htm (Alexandre découvre le corps de Darius III)

https://alchetron.com/Hecataeus-of-Miletus (océan extérieur)

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