Le règne de Louis XIV (partie XXXVII) : diplomatie et reconquête de l’Espagne (1710-1711)

Le règne de Louis XIV (partie XXXVII) : diplomatie et reconquête de l’Espagne (1710-1711)

Rappel : En plus des affres de la guerre, l’Europe et en particulier la France souffrit du Grand Hiver qui terrassa plus de 600 000 Français en 1709-710. Relativement moins dévastateur que les ravages de 1693, ce phénomène climatique amena toutefois Louis XIV à rechercher avec acharnement, quitte à l’obtenir avec des conditions très défavorables. En sus de concessions humiliantes – que le Roi-Soleil accepta -, les Alliés exigèrent que le roi de France tourne ses armes contre son petit-fils Philippe V. Écœuré, Louis XIV refusa et publia pour ses sujets une lettre le 12 juin 1709, chose inédite, afin d’expliquer qu’une paix était pour le moment impossible malgré ses efforts en ce sens, du fait du manque de mesure des ennemis de la France. Cette lettre favorisa le patriotisme. En parallèle, la guerre continua : Villars, désormais à la tête de l’armée française sur le front de Flandre, disposait d’hommes mal nourris et manquait d’argent. En face, Marlborough et Eugène de Savoie s’emparèrent – non sans mal – de Tournai. Entre les Alliés et Paris ne se dressait alors plus que Villars et Boufflers. Ceux-ci affrontèrent les coalisés durant la bataille de Malplaquet le 11 septembre 1709. Les Français firent payer si cher leur victoire aux coalisés que celle-ci ne pouvait qu’être qualifiée de victoire à la Pyrrhus. En conséquence, les coalisés, bien que victorieux, arrêtèrent là leur campagne et les adversaires politiques de Marlborough salirent sa réputation. Pendant ce temps, les Franco-espagnols progressèrent en Espagne ; après quoi, les troupes françaises évacuèrent la péninsule ibérique : Louis XIV voulait négocier avec les Alliés.

Pour réaffirmer l’entente entre la Grande-Bretagne et la Hollande, les deux pays signèrent le « traité de Succession et de Barrière », à La Haye, le 29 octobre 1709. Les Provinces-Unies promettaient d’assurer une aide armée à la succession protestante de la Grande-Bretagne, si nécessaire ; en échange, celle-ci promettait de partager tout ce qu’elle pourrait obtenir de la guerre, dont l’asiento, et de fournir comme Barrière la ceinture de fer à la Hollande (Lille, Tournai, Valenciennes, Condé, Maubeuge, Dendermonde) ! La Grande-Bretagne se réservait des territoires en Gueldre, revendiqués par la Prusse. Avec ce traité, les Britanniques allaient fâcher l’Autriche et la Prusse, tandis que les whigs allaient être vus comme prêts à sacrifier les intérêts de la nation pour continuer une guerre ruineuse. Marlborough refusa d’approuver un tel triomphe pour Heinsius ; celle-ci demeura ainsi une promesse sur le papier.

Louis XIV désirait tant la paix qu’à l’ouverture de la conférence de paix de Gertruydenberg, dans les Provinces-Unies, s’il refusait toujours d’attaquer son petit-fils le roi d’Espagne au cas où celui-ci refusait de lâcher la couronne, le Roi-Soleil proposa un subside immédiat de 500 000 livres puis un million de livres par mois pour que les Alliés s’en occupent sans son appui militaire, le cas échéant. Et pourtant, en 1710, Desmarets entreprenait une habile réforme monétaire et la France mettait en place une nouvelle taxe, l’impôt du dixième denier (dit le dixième), inspiré de la dîme royale de Vauban, un impôt moderne touchant tout le monde, sauf le clergé, selon ses revenus ; comme elle l’avait fait avec la capitation en 1695 (supprimé en 1697, rétabli en 1701). Le royaume de la lys raclait les fonds de tiroirs, survivait en partie grâce aux navires espagnols chargés d’or provenant du Nouveau-Monde (protégés par l’efficace marine française), mais proposait une somme exubérante pour plaire aux Alliés. Louis XIV acceptait par ailleurs toutes les conditions précédemment évoquées. Les Alliés rejetèrent la proposition. Jamais plus le Roi-Soleil ne proposerait une offre aussi généreuse. En 1710, Villars ne trouva pas d’occasion pour engager une nouvelle bataille importante sur le front de Flandre et ne put prévenir la chute de quelques forteresses cette année-là : Marlborough et Eugène prirent Douai (25 juin), Béthune (28 août), Saint-Venant (29 septembre) et Aire (8 novembre), pratiquant une ouverture de 80 km dans la seconde ligne du pré carré de Vauban. Les fronts du Rhin et d’Italie restèrent assez silencieux. Ce ne fut pas le cas de celui d’Espagne.

Là, largement privé du soutien français, Philippe V nomma Villadarias à la tête de son armée face à Starhemberg. Philippe V rejoignit le front et, avec Villadarias, engagea Starhemberg à Almenara le 27 juillet 1710. Les Espagnols, avec 22 000 hommes, furent vaincus par les 24 000 soldats alliés. Philippe V remplaça Villadarias par le marquis de Bay et retraita. Alors qu’ils reculaient, les Espagnols furent à nouveau vaincus par Starhemberg à Saragosse le 20 août. Les Alliés contrôlaient l’Aragon, tandis que les Espagnols refluaient vers Madrid, qui devint la nouvelle cible des Alliés. Philippe V gagna Valladolid. Tolède tomba aux mains des Alliés, puis vint le tour de Madrid. Ils y entrèrent le 21 septembre.

La guerre dans la péninsule ibérique (1710-1714), la reconquête franco-espagnole.

Pourtant, avec l’échec de la conférence de Gertruydenberg, Louis XIV renouvela son soutien à son petit-fils. Les renforts français marchèrent vers le sud. De Bay fut affecté au commandement des troupes en Estrémadure, Noailles dirigea celle de Catalogne et Vendôme, sorti de disgrâce par un mariage organisé par Louis XIV avec Marie-Anne de Bourbon-Condé et que le roi d’Espagne réclamait à son grand-père, prit en charge la principale armée franco-espagnole. Madrid se souleva en faveur de Philippe V. Starhemberg, voyant sa ligne de retraite vers le Portugal coupée par Vendôme, décida de quitter Madrid fin novembre, puis Tolède. Philippe V rentra définitivement dans sa capitale le 3 décembre 1710. La retraite de Starhemberg tourna au cauchemar. Vendôme pressa l’allure et encercla son arrière-garde, dirigée par Stanhope, à Brihuega, le 8 décembre : les 4 000 Britanniques constituant celle-ci furent tués ou capturés. Si le comte Stanhope avait tenu quelques heures de plus, il aurait été secouru par Starhamberg, qui avait fait demi-tour. Le 10 décembre, Vendôme attaqua avec 25 000 hommes les 14 000 hommes de Starhemberg à Villaviciosa. Vendôme perdit 4 000 hommes et rompit le contact mais emporta tout de même la victoire, faisant 2 800 tués et 5 600 blessés ou capturés chez les Alliés pour 2 500 pertes. L’armée des coalisés, réduite comme peau de chagrin, annonçait une catastrophe. Le lendemain, les Alliés entamèrent une retraite précipitée, laissant les canons et les provisions derrière eux. La Castille et l’Aragon étaient définitivement débarrassés des Alliés. Noailles put alors avancer en Catalogne. Gérone tomba le 25 janvier 1711. Barcelone était à portée. Les Alliés n’étaient plus présents que dans le triangle Tarragone-Igualada-Barcelone. Charles III n’avait plus aucune chance d’être fait roi d’Espagne autrement que par voie diplomatique.

Les événements d’Espagne et la résistance française au nord changèrent totalement la position de Louis XIV face à ses adversaires. Déçu par les Hollandais, le Roi-Soleil décida de négocier directement avec les Britanniques. En août 1710, alors que la lassitude de la guerre montait, la reine Anne, qui n’avait jamais été à l’aise avec le cabinet whig, le remplaça par des tories. Ceux-ci remportèrent deux tiers des sièges. Harley était de retour aux affaires, sous le ministère d’Henry St John, 32 ans, tory ambitieux, francophile et francophone.

Les tories étaient par ailleurs plus intéressés par la prospérité du commerce britannique et l’expansion coloniale que la guerre continentale. De ce fait, ils voyaient les Hollandais d’abord comme des rivaux commerciaux, et non des alliés militaires. Alors que sa femme Sarah tombait en disgrâce suite à une dispute avec la reine Anne, Marlborough ayant par ailleurs perdu ses soutiens whigs, perdit en influence. La Grande-Bretagne n’était pas attachée à voir l’archiduc Charles sur le trône d’Espagne et était donc prête à accepter Philippe V, contre de bonnes garanties, notamment pour le commerce. Les négociations de paix passèrent par François Gaultier, un prêtre catholique à Londres. Les discussions entre Torcy et Gaultier allaient bon train lorsque l’empereur Joseph Ier succomba à la petite vérole le 17 avril 1711, à l’âge de 32 ans. N’ayant aucun héritier mâle, c’est son frère l’archiduc Charles, prétendant au trône d’Espagne sous le nom de Charles III, qui monta sur le trône d’Autriche sous le nom de Charles VI. Dès lors, il n’était plus question, pour aucun des Alliés – excepté l’Autriche -, de souhaiter la destitution de Philippe V, qui apparaissait désormais comme le choix raisonnable, l’alternative donnant à Charles VI d’Autriche l’empire de Charles Quint. Or, donner une telle puissance aux Habsbourg était hors de question. La Prusse, qui comptait à terme disputer la domination de l’Autriche sur les terres allemandes, ne voulait plus se battre si l’empereur devenait aussi puissant. De la même manière, Victor-Amédée se méfiait de la puissance autrichienne et avait tout intérêt à limiter son emprise sur l’Italie. Le duc de Savoie proposa d’ailleurs sa candidature à la couronne d’Espagne : il avait une légitimité au trône et serait bien moins dangereux que les candidats Bourbon et Habsbourg. La mort du Grand Dauphin le même mois (14 avril 1711) rapprocha d’ailleurs Philippe V du trône de France. Les Britanniques jonglaient entre les Alliés et juraient aux Hollandais comme aux Autrichiens que leurs buts de guerre n’avaient pas changés.

En Europe centrale, l’isolement militaire et diplomatique, la faiblesse économique et industrielle, la peste de 1708, la fin des subsides français en 1709 (faute de moyens) et la mort de Joseph Ier amenèrent les Hongrois à signer la paix en 1711 dès que le prince Rákóczy s’absenta quelques jours (il était allé rencontrer Pierre le Grand de Russie en Pologne). Tous les Hongrois étaient amnistiés, à condition qu’ils prêtent allégeance aux Habsbourg, ce que François II Rákóczy se refusa à faire. Si l’Autriche sortit enfin de la rébellion hongroise en signant la paix de Szatmar le 1er mai 1711, le redéploiement potentiel de troupes d’élite habsbourgeoises contre la France ne changea pas les événements. Le 8 octobre 1711, Français et Britanniques signèrent un projet d’accord : les Préliminaires de Londres. Cet accord, négocié par le diplomate britannique Matthew Prior et le diplomate français Nicolas Mesnager, devant mener à une paix générale, assurait :

  • La reconnaissance de la reine Anne et de la succession protestante par la France ;
  • La séparation perpétuelle des couronnes française et espagnole ;
  • La satisfaction raisonnable pour toutes les parties de la guerre et le rétablissement du commerce ;
  • La constitution d’une Barrière au profit des Hollandais ;
  • L’établissement d’une autre barrière, sur le Rhin pour l’Empire et la Maison d’Autriche ;
  • La démolition des fortifications de Dunkerque ;
  • L’organisation d’une conférence de paix prenant en compte les besoins de tous les princes et Etats impliqués dans la guerre.
Anne Stuart (1665-1714), reine d’Angleterre, d’Ecosse et d’Irlande (1702-1707) puis de Grande-Bretagne et d’Irlande (1703-1714).

Cet accord fut divulgué et avait vocation à servir de base aux futurs accords d’Utrecht (1713). En revanche, deux accords secrets, qui accompagnaient les Préliminaires de Londres, ne furent pas divulgués aux Alliés. Dans le premier, les Français promettaient de faire en sorte de donner à la Savoie toute partie de l’Italie qui serait jugée nécessaire. Dans le second, on listait exactement les avantages que les Britanniques devaient tirer de la guerre : en plus des conditions des Préliminaires de Londres, le maintien des Britanniques à Port-Mahon et Gibraltar, la cession par la France de la baie d’Hudson et de Terre-Neuve ainsi que l’île de Saint-Christophe dans les Caraïbes ; un nouveau traité de commerce franco-britannique, des droits de commerce en Amérique espagnole et le droit à l’asiento. Enfin, aucun de ces points ne devait prendre effet avant la paix générale. Les seuls Préliminaires de Londres scandalisèrent les Alliés. L’Autriche fut outrée de voir qu’on laissait l’Espagne aux Bourbon alors que Harley avait encore assuré, au cours de l’année, son soutien à Charles VI pour l’élection impériale et le trône du Roi Catholique. La Hollande l’était tout autant car les Britanniques oubliaient l’avantageux traité de Barrières et de Succession signé en 1709.

Les Alliés tentèrent alors de rallier l’opinion des Britanniques à leur cause en envoyant le prince Eugène – très apprécié là-bas, bien que franco-italien et se battant pour une puissance catholique – tandis que l’Electeur du Hanovre, successeur désigné de la reine Anne, protestait, tout comme Marlborough, le capitaine général britannique. Les tories répliquèrent au travers des journaux, de pamphlets et de menaces. Ils menacèrent Marlborough d’un procès pour les contributions qui avaient atterri dans sa poche durant la guerre ; tout comme ils menacèrent George de Hanovre de le priver de la succession britannique. Le zèle de ces deux personnages disparut.

La guerre ne s’arrêtait pas pour autant. Le front de Flandre connut peu de mouvements en 1711. Les troupes fraternisèrent entre les armées de Villars et Marlborough. Pour autant, les Français travaillèrent une nouvelle ligne de défense, nommée « Ne Plus Ultra »* par Villars pour signifier que Marlborough n’irait jamais au-delà. Celle-ci courait de Montreuil sur la côte à Namur, en passant par Arras, Cambrai, Valenciennes, Le Quesnoy et suivant la Sambre. Le 4 août 1711, Marlborough franchit la ligne sans tirer un coup de feu grâce à une diversion. Il se retira ensuite pour assiéger Bouchain qui tomba le 12 septembre. En janvier 1712, en visite en Grande-Bretagne, Marlborough apprit que la reine Anne l’avait démis de ses fonctions. Le Rhin resta calme en 1711. En Italie, Victor-Amédée s’étant plains du manque de soutien des Alliés, en reçut et tenta d’envahir la Savoie. Berwick protégea toutes les issues et obligea les Alliés à finir leur campagne là où l’avaient commencé, sans résultat. Aucun événement significatif ne secoua l’Espagne non plus cette année-là.

*Locution latine dont la version la plus connut est « Nec plus ultra » mais se dit aussi « Ne plus ultra » ou « Non plus ultra », signifiant littéralement : « Rien au-delà ».

Sources (texte) :

Petitfils, Jean-Christian (1995). Louis XIV. Paris : Tempus Perrin, 785p.

Oury, Clément (2020). La guerre de succession d’Espagne, la fin tragique du Grand Siècle. Paris : Tallandier, 528p.

Lynn, John A. (1999). Les guerres de Louis XIV. Londres : Tempus Perrin, 568p.

Bluche, François (1986). Louis XIV. Paris : Fayard, 1040p.

Sous la direction de Drévillon, Hervé et Wieviorka, Olivier (2021). Histoire militaire de la France. Des Mérovingiens au Second Empire. Paris : Tempus Perrin, 1182p.

Sources (images) :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_de_Succession_d%27Espagne (la guerre en Espagne)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Anne_(reine_de_Grande-Bretagne) (reine Anne)

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